Sortir le débat des chapelles idéologiques

Par Gilles Simard
Publié le 17 mars 2018
Rassemblement le 29 janvier 2018, à la mémoire des victimes de la fusillade à la Grande Mosquée de Québec. Photo: Nathalie Côté

Il y a peu, l’auteure Francine Bordeleau faisait paraître dans ce journal, un texte sur la commémoration du 29 janvier, à la mémoire des victimes de la tuerie de la Mosquée de Québec. Une sorte de billet d’humeur, où elle y allait de commentaires personnels sur cet événement nécessaire, pour sûr, mais critiquable aussi, sous certains aspects.

De un, j’aimais son texte, parce qu’il énonçait des vérités et questionnait des faits, reflétant bien en cela les préoccupations d’une majorité de la population québécoise sur la question de la laïcité, des accommodements religieux et de la récupération politico-sociale de cette même commémoration par des groupes religieux, sociaux et des partis politiques. Surtout, j’appréciais ce billet, parce qu’il s’avérait une bouffée d’air frais dans un climat social délétère de moralisme ambiant et d’autocensure, où les rachitiques politiques gouvernementales sur le sujet (loi 62), divisent tant les activistes, que la société en général. Enfin, et bien qu’il manquât de profondeur et d’analyse, il proposait tout de même une réflexion originale; une réflexion pouvant être différente du ronron idéologique auquel nous ont habitués certaine groupes et partis politiques de gauche qui carburent à l’intersectionnalité1 et aux bons sentiments.

Discréditer en insultant ou en accusant

Mais qu’importe … S’agissant du texte « litigieux » lui-même, sitôt paru, on s’est rameuté, dans certains milieux de gauche, pour décrier, mépriser et collectivement vouer aux gémonies ce papier pourtant bien inoffensif. Dans les nombreux commentaires (sur le site web), on en a parlé comme d’un torchon, un écrit abject, méprisable, raciste, indigne et xénophobe, j’en passe et des meilleures. On a accusé, oui, mais on n’a jamais vraiment précisé « en quoi » le texte pouvait être raciste ou islamophobe, un concept particulièrement fumeux, piégé et divisif que ce dernier.

Qui plus est, on s’en est pris au journal, l’accusant d’avoir manqué à sa vocation première, le taxant de populisme et d’hérésie, ainsi que de collaboration idéologique avec le discours des « radios poubelle » locales.

Trouver des zones tampons, des No Fuck Land

Cela dit, ce fait apparemment anodin illustre à lui seul toute la difficulté que nous éprouvons dans certains milieux à débattre sainement de sujets sensibles comme la laïcité, les accommodements religieux et l’immigration.

Comme s’il nous était impossible de discuter de façon respectueuse et sereine, sans tomber dans les pièges de l’insulte ou de l’accusation par association pour discréditer l’autre; comme si nous étions les seuls porteurs de vérité, incapables d’accepter ou de considérer des arguments contraires aux nôtres; comme s’il était impensable que nous puissions être dérangés dans nos certitudes; comme si notre égo politico-social était tel, qu’il ne restait plus de place pour une saine et nécessaire autocritique… Pourtant, entre deux camps aux opinions apparemment opposées, il doit bien y avoir une zone tampon, une sorte de No Fuck Land, pour entendre et jauger calmement les arguments de l’autre, non ? Et qui sait, peut-être même se laisser influencer, pourquoi pas ?

Et soit dit en passant ici, la gauche « inclusive », ou peu importe comment on la désigne, n’a pas le monopole de l’insulte et de l’accusation par amalgame fâcheux, loin de là. On n’a qu’à penser à l’arsenal d’expressions et d’aphorismes dont disposent d’autres factions, pouvant lâcher en rafales meurtrières des accusations d’islamo-gauchisme, d’idiotie utile et de multiculturalisme benêt et dévoyé, en veux-tu en v’là ! Pas toujours de quoi se poser en champion de l’éthique et de la bonne mesure, faut l’avouer.

Un débat sain dans un cadre sain

Autrement, bien d’autres l’ont dit avant moi, il faut impérativement sortir le débat des chapelles idéologiques, des lignes de parti et de la gélatine du politiquement correct, afin de nous le réapproprier et d’en discuter librement, sainement, sans penser à s’égorger à tout bout de champ. Il faut l’enlever des mains des champions autoproclamés de la vérité unique, des Social Justice Warriors, des politiciens clientélistes et des chroniqueurs à-lava- vite, en se donnant les moyens de le recadrer, de le panser et de le repenser au besoin. De même, il faut l’enlever du presto émotif des réseaux sociaux, des émissions guimauves à la TLMP et aussi des clubs de faiseurs d’opinion trop intéressés pour être honnêtes et impartiaux.

S’asseoir, lire et réfléchir pour mieux argumenter, propose Jérémie Mc Ewen, dans son excellent dernier livre Avant je criais fort (éd. XYZ)… Désintoxiquer le débat, écrivait quant lui, Normand Baillargeon (Voir-Mars 17), en donnant toute une série de moyens concrets pour aboutir à un dialogue qui soit utile, porteur et constructif entre deux parties. Sortons du consensus pour apprendre à vivre avec le dissensus, lui répliquait Marie-Christine Lemieux-Couture, en laissant à entendre que les sujets de l’immigration, de la religion et de la laïcité n’étaient certainement pas les seuls sujets à aborder, même s’ils font la manchette à tous les jours (Les Mauvaises Herbes). Quant à moi, si j’avais deux livres de chevet à conseiller pour alimenter la réflexion, je commencerais par Un pays en commun d’Éric Martin (éd. Écosociété), un livre puissant qui réconcilie nationalisme et socialisme, et aussi le très bel essai de Catherine Dorion, Les luttes fécondes (éd. Atelier-10) … Que voilà un livre, celui- là, que j’aurais aimé connaître à mon époque de militantisme dévoyé au sein du groupe En Lutte ; un temps où les diktats du paraître et du conformisme militant l’emportaient sur les désirs profonds d’à peu près tout le monde dans le groupe.

Une décision dangereuse

Plus que jamais, alors que les principaux partis politiques du Québec ont déjà commencé à faire connaître leurs dernières propositions en matière d’immigration, de religion et de laïcité, il convient, répétons-le, de se réapproprier le débat politico-social à des fins d’intelligence commune et de justice sociale. Ce qui ne doit pas nous empêcher, en ces périodes où la tentation du clientélisme et du racolage est extrême, de rester très vigilant. Pensons, ici, à la dernière décision du Directeur Général des Élections du Québec (DGEQ), acceptée sans aucun débat à l’Assemblée nationale, et permettant le port de signes religieux (en photo) pour les candidats et candidates. Un net recul pour la laïcité, une incohérence majeure qui met en péril le concept même de neutralité religieuse de l’État. Partant, j’appuie sans réserve ici les Nadia El Mabrouk, André Lamoureux, Djemila Benhabib, Michèle Sirois et tous les autres ayant récemment condamné publiquement cette mauvaise décision. Enfin, oui ! Sortons le débat des chapelles, mais diable, ne ramenons pas les chapelles à l’Assemblée nationale ! L’État est neutre et doit le rester.

1- L’Intersectionnalité (de l’anglais intersectionality) est une notion employée en sociologie et en réflexion politique désignant les personnes subissant simultanément plusieurs formes de domination ou de discrimination.

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