Police ou Manifs : De qui a-t-on peur à Québec?

Publié le 17 avril 2015

par Lynda Forgues

 

photo par David-Maxime Samson
photo par David-Maxime Samson

Quelle perception avons-nous des gens qui marchent pour les causes qui leur tiennent à cœur? Comment en vient-on à préférer voir la ville être prise d’assaut par des unités de police militarisées que de voir défiler des manifestations ?

 

Résistance et répression

Pendant le printemps 2012, on a pu voir comment des étudiantEs, des enseignantEs, des citoyen-nes étaient montrés dans les médias comme des voyous, des criminels, des vandales. Cela se répète encore aujourd’hui en 2015, alors que les grèves et manifestations contre l’austérité et les coupes dans tous les secteurs commencent à peine. Si on n’y prend garde, du jour au lendemain, toute personne, tout groupe, même ceux qui défendent l’eau potable ou le droit à l’avortement, vos enfants, vos voisins, peuvent basculer et se retrouver dans le camp des monstres et devenir la cible de la répression sous l’indifférence généralisée.

Qu’est-ce que la répression ? C’est un processus mené par un groupe au pouvoir, qu’il soit municipal, fédéral, provincial, ou même dans une institution scolaire ou un endroit de travail, par exemple, pour tenter de diminuer la contestation, l’organisation et la mobilisation des personnes qui expriment une opinion différente. Cette répression peut se faire de bien des façons. La plus frappante est bien sûr l’utilisation des forces armées ou policières, une fois que la répression politique, à plus ou moins long terme, ne fonctionne plus suffisamment.

La Ligue des droits et libertés (LDL) et une trentaine d’organismes ont publié une déclaration commune afin de sonner l’alarme, le 1er avril.
«Le fait (que la répression) survienne de manière aussi brutale, dès le début du mouvement de grève étudiante, témoigne de la volonté ferme d’écraser le mouvement social qui prend de l’ampleur et démontre le caractère politique de cette répression.»
Ils dénoncent le fait que, dans les conditions actuelles, il n’existe pas de droit de manifester, lorsque les gens ont peur d’y participer et d’être reçus par une police militarisée armée de lance-grenades. C’est ça l’effet de la répression.

Souricières du 24 mars

La manif nocturne du 24 mars à Québec contre l’austérité et le démantèlement des services publics s’est soldée par 274 arrestations en souricières. L’appel à se mobiliser pour la défense du bien commun et de marcher vers le printemps 2015 avait été entendu par des centaines de personnes qui s’étaient réunies devant l’Assemblée nationale où les attendait un imposant déploiement anti-émeute visible dans les rues avoisinantes avant la manif.

Pourtant, il n’y avait pas d’émeute. C’est important de le rappeler. Il n’y a jamais eu d’émeute. Appelée pour 20h, la manifestation a pris un certain temps à se former et quand la foule a voulu s’engager sur Grande-Allée, un cordon serré bloquait la sortie. La foule s’est scindée en plusieurs groupes. D’un côté, les murets entourant la colline parlementaire ont été enjambés par une partie de la foule déterminée à prendre la rue pour manifester. Ce premier groupe a été poursuivi par les policiers, des personnes ont été blessées, une souricière a été dressée rue Saint-Amable. De l’autre côté, un bon contingent a déambulé à travers le quartier, escorté par la police, jusqu’à une souricière, sur René-Lévesque. Au cours de la soirée, un manifestant a été mordu par un chien de la brigade canine, une manifestante a été violemment arrêtée par trois policiers parce qu’elle portait un drapeau.

Que faisaient-ils là le 26 mars?

Nous voyons bien que les gens arrêtés ou attaqués lors de ces manifestations, tout comme en 2012, le sont moins en rapport avec des faits, des crimes ou des délits, mais plus en rapport avec ce qu’ils sont, ce qu’ils représentent, avec leur identité politique et sociale.

La police, les autorités municipales, et bien entendu les médias, distinguent les bons des mauvais manifestants.
Dans les médias, on associe les «mauvais manifestants» aux jeunes, aux étudiants : ils seraient irrationnels. Ils forment une opposition turbulente à l’ordre établi. Ainsi, ils sont jugés comme des acteurs politiques illégitimes qu’on ne doit pas écouter et même, comme l’a dit le ministre Blais au début du mois, comme ‘’des enfants dont on veut corriger le comportement’’. Les médias alimentent cette perception par des choix d’images et de mots, qui visent à les présenter comme une menace radicale, en occultant leurs revendications. On fait passer les manifestants pour des criminels, des casseurs troublant la paix sociale, et bien sûr, dérangeant la circulation automobile.

Pour le dépôt du budget, le 26 mars, l’ASSÉ conviait les gens à un rassemblement pour 17h30, il s’agissait de montrer qu’il importait d’augmenter la pression, de se faire entendre jusqu’à l’Assemblée nationale. Les syndicats brillaient par leur absence. La présence policière était, au départ, discrète et alors qu’il n’y avait qu’un rassemblement bon enfant et festif, la SQ a déployé son long cordon vert kaki d’anti-émeute pour paraphraser le maire Labeaume, ‘’à deux pouces du nez’’ des protestataires. Après les discours, la foule a bien tenté de sortir manifester mais le périmètre était bloqué aux deux extrémités par l’antiémeute municipale, équipée de fusils Arwen, et accompagnée de ses chiens. Pas d’arrestations cette fois-ci, la police a gazé en tirant au visage et sur le corps des personnes qui cherchaient à briser l’encerclement. Une étudiante a été blessée et la Ville et la police sont maintenant poursuivies. Le policier qui a tiré, un ex de la police militaire, a pris congé dès le lendemain des faits; avec salaire.

 

L’article 19-2 responsable de la violence

Suite à ces événements, Gabriel Marcoux-Chabot, un poète qui enseigne à Québec et qui nous amusait lors des manifs de 2012 sous le déguisement de Banane rebelle, a écrit une lettre ouverte au maire Labeaume lui enjoignant de retirer l’article 19-2 qui oblige de fournir un itinéraire sous peine de voir la manifestation être déclarée illégale et être réprimée. C’est en vertu de cet article que les personnes prises en souricières ont toutes reçu une contravention et que celles qui ont manifesté par la suite ont été gazées. La lettre a été signée par des milliers de personnes de tous les horizons.

La réponse du maire Labeaume à la lettre a été aussi arrogante qu’inadéquate. Ce qui n’est pas surprenant, vu son appui inconditionnel à son service de police, pour n’importe quel sujet, sauf en tant qu’employés municipaux, bien sûr.

Les articles anti manifestations adoptés en juin 2012 par l’administration Labeaume confèrent un grand pouvoir aux policiers pour déterminer arbitrairement qui peut manifester, où et de quelle façon. En fait ça criminalise le droit de se réunir et de s’exprimer pacifiquement. Alors qu’il existe déjà dans le code criminel tout ce qu’il faut pour agir contre des délinquants qui profiteraient de manifestations légitimes pour mal agir, les articles liberticides créés en 2012 présument au départ que les gens qui se rassemblent pour faire part de leurs préoccupations civiles sont des malfaiteurs contre lesquels il faut envoyer les forces policières.

Depuis l’automne 2014 s’est bâtie une Coalition pour le droit de manifester à Québec, rassemblant 6 groupes sociaux. Elle a maintenant un site internet qui offre de l’information et une déclaration à signer pour le droit de manifester librement à Québec. En juin prochain, ce sera le troisième anniversaire de ces règlements municipaux dont nous voyons de plus en plus les effets à mesure que les gens protestent contre les mesures gouvernementales. Allons signer pour le droit de manifester à Québec http: //manifesteraquebec.org

 

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