Santé mentale: lettre au ministre de la Santé Christian Dubé et à l’agence Santé Québec

Publié le 21 octobre 2025
Un partie du groupe de psychiatres en conférence de presse devant l’Insitut universitaire en santé mentale de Québec, le 20 octobre. Photo: DDP

Nous, psychiatres du CIUSSS de la Capitale Nationale, nous unissons aujourd’hui pour nous adresser à Santé Québec, au ministre de la santé Christian Dubé ainsi qu’à nos concitoyens afin de dénoncer les coupures budgétaires et la réduction des services offerts en santé mentale, dans notre région et dans toute la province. Nous constatons l’effet de ces coupures depuis plusieurs années et sommes alarmés de voir qu’elles ne font que s’accélérer depuis l’arrivée de Santé Québec et de ses nouveaux indicateurs de soi-disant performance.

En effet, nous sommes grandement préoccupés par la façon dont Santé Québec et ses représentants prétendent réorganiser les soins. Selon les informations qui nous ont été transmises, le principal facteur pris en considération dans la définition de la performance est la quantité de services qui peut être donnée, et ce, au plus bas coût possible. Nous avons également été informés que ces calculs économiques seront ensuite utilisés afin de comparer les établissements entre eux, et que le financement de chaque établissement sera attribué en fonction de cette soi-disant performance, c’est-à-dire en limitant les coupures chez ceux qui coûtent le moins cher. La performance de Santé Québec se définit donc monétairement, sans égard à la qualité des soins donnés ou à leurs impacts réels à court, moyen et long terme sur la santé de la population. Autrement dit, l’évaluation de la performance ne prend pas en considération le fait que le service ait aidé ou non une personne à aller mieux.

Nous assistons ainsi à une promotion des soins superficiels et expéditifs, afin de donner une apparence d’accessibilité, en négligeant une donnée cruciale : leur efficacité réelle. Ceci ouvre la porte à des dérives inquiétantes.

Nous ne vous apprenons rien en vous disant que les soins en santé mentale nécessitent du temps. Les humains sont des êtres complexes et uniques, pas des machines; nous ne pouvons pas les traiter comme on répare une voiture au garage.

Selon la Commission de la santé mentale du Canada, un adulte sur deux a souffert ou souffrira d’un trouble de santé mentale dans sa vie. La majorité d’entre nous se trouvera confronté un jour ou l’autre à des problèmes de santé mentale, que ce soit personnellement ou en tant que parent, enfant, conjoint.e ou ami.e. Dans des moments de vie difficiles, le fait d’avoir accès à des soins humains et de qualité prend toute son importance. Nous souhaitons être en mesure de continuer d’offrir de tels soins, ce que les récentes réformes compromettent dangereusement. C’est pourquoi cette définition de la performance nous inquiète, puisqu’elle encourage à prioriser la quantité sur la qualité. Des services trop brefs et insuffisants risquent d’entraîner, au fil du temps, une aggravation des problématiques en santé mentale, ainsi qu’une hausse de la pression sur le système hospitalier et les urgences, déjà saturés, ce qui nous coûtera finalement plus cher à toutes et tous. Nous craignons également une dénaturation des soins en santé mentale, qui risquent de devenir impersonnels, insatisfaisants et déshumanisants.

Les partis d’opposition appuient les psychiatres. Sol Zanneti, député de QS dans Jean-Lesage était sur place. Photo: DDP

Le 3 octobre dernier, le premier ministre François Legault a déclaré que l’exercice de restriction budgétaire ciblait les structures administratives, sans entraîner de coupures dans les services de santé offerts à la population. Or, seulement dans les derniers mois, la population de Québec a perdu le centre de traitement le 388, destiné aux jeunes adultes atteints de psychoses, et l’hôpital de jour du Faubourg St-Jean, dédié à l’intervention de crise auprès des personnes présentant un trouble de la personnalité. Nous avons également appris la fermeture imminente de l’hôpital de jour spécialisé pour les troubles anxieux et la dépression. Nous sommes préoccupés de constater que ces récentes fermetures semblent toucher davantage les services centrés sur des interventions de psychothérapie et des approches intégratives biopsychosociales. Ces soins nécessitent évidemment davantage de ressources humaines, comparativement aux médicaments, dont les coûts ne sont pas inclus dans les calculs de performance. Ceci dit, la psychothérapie et les soins psychosociaux ont démontré leur efficacité et sont recommandés en première ligne de traitements pour une grande partie des troubles psychiatriques que nous traitons couramment. Nous nous inquiétons donc des conséquences de ces décisions, alors que la population est en droit d’avoir accès à des traitements diversifiés, complémentaires et efficaces.

 

Nous déplorons par ailleurs la façon dont les coupures sont présentées dans les médias, dont le fait de prétendre qu’elles n’auront aucun impact sur l’accès aux soins. Ce n’est pas ce que nous constatons au quotidien. De plus, l’opinion des gens sur le terrain n’est que très peu prise en considération par les dirigeants à l’origine des directives actuelles. Les coupures sont annoncées de façon brutale, avec un manque d’égard pour les usagers ou le personnel soignant, et sans création préalable de services cliniques équivalents. Affirmer que les fermetures récentes et à venir ne représentent qu’une réorganisation des services s’avère inexact.

Il nous faut donc nommer les choses telles qu’elles le sont réellement : lorsqu’on nous parle de performance, on nous parle de soins bon marché. Lorsqu’on nous parle de réorganisation des services, on nous parle de coupures et de pertes d’expertise. Lorsqu’on nous parle de réforme et d’accès aux soins, ce dont on nous parle réellement, c’est d’un affaiblissement du système de santé public.

Nous ne sommes pas opposés à une réorganisation des services visant à offrir les meilleurs soins possibles, à un coût abordable. La population est en droit de bénéficier d’excellents soins. Ce n’est toutefois pas ce vers quoi nous tendons actuellement, malgré les allégations de Santé Québec.

C’est pourquoi nous demandons à Santé Québec de revoir en profondeur sa définition de la performance en santé, en y incluant des marqueurs de qualité et de continuité des soins. C’est aussi pourquoi nous demandons au gouvernement de s’engager, réellement, dans le maintien et l’amélioration des services publics en santé mentale.

Philippe Beauchamp, M.D., psychiatre Marie-Josée Beauchemin, M.D., psychiatre Mathieu Bédard. M.D., psychiatre Dominique Belisle, M.D., psychiatre Antoine Bertrand Duchesne, M.D., psychiatre Sarah Blais-Laroche, M.D., psychiatre
Nicolas Boivin, M.D., psychiatre David Boivin-Lafleur, M.D., psychiatre Michel Bolduc, M.D., psychiatreAnne-Pierre Bouffard, M.D., psychiatre Annie Brochu-Blain, M.D., psychiatre Sébastien Brodeur, M.D., psychiatre Julie Cantin, M.D., psychiatre
Marise Chénard, M.D., psychiatre Marie-Julie Cimon, M.D., psychiatre Jean-François Côté, M.D., psychiatre Valérie Dubé, M.D., psychiatre
Marie-Josée Filteau, M.D., psychiatre Catherine Fleury, M.D., psychiatre Nadine Gagnon, M.D., psychiatre Stéphanie Gagnon, M.D., psychiatre Alexandre Gaudry, M.D., psychiatre Michel Gervais, M.D., psychiatre Andréanne Gignac, M.D., psychiatre Julie Haslam, M.D., psychiatre
Paul Jacques, M.D., psychiatre, Catherine Kirby, M.D., psychiatre Corinne L.-Legendre, M.D., psychiatre, Maxime Lafrance Tremblay, M.D., psychiatre Amélie Laroche, M.D., psychiatre
Catherine Laughrea, M.D., psychiatre Mélanie Lavallée, M.D., psychiatre, Marie-Frédérique Leclerc, M.D., psychiatre Isabelle Lemire-Renaud, M.D., psychiatre Suzie Lévesque, M.D., psychiatre, Amélie Massé, M.D., psychiatre
Marie-Isabelle Nadeau-Lessard, M.D., psychiatre Geneviève Ouellet, M.D., psychiatre
Isabelle Panneton, M.D., psychiatre Olivier Poitras, M.D., psychiatre Katherine Poulin, M.D., psychiatre Steve Radermaker, M.D., psychiatre Sandrine Richard, M.D., psychiatre Anne-Marie Roberge, M.D., psychiatre David Roy, M.D., psychiatre
Olivier Roy, M.D., psychiatre Jacinthe Saindon, M.D., psychiatre Leila Skalli, M.D., psychiatre
Sarah-Pham Thi-Desmarteau, M.D., psychiatre Catherine Touchette, M.D., psychiatre Philippe Tremblay, M.D., psychiatre, Valérie Trottier-Hébert, M.D., psychiatre

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