Québec, ville à flanc de falaises

Mario Jobin, architecte
Publié le 23 janvier 2025
En bas de la cote Badelard dans Saint-Roch. Photo: DDP

On ne saisit la pleine envergure de Québec qu’en «entrant en ville par le boulevard Champlain », comme l’a fait le ministre de l’Environnement, Paul Bégin, par un beau matin ensoleillé de l’an 2000. À ce moment même, il décida d’agir et de stopper toute privatisation du secteur pour ouvrir la voie à ce qui est devenu, aujourd’hui, un « front de mer et à flanc de falaise », la Promenade Samuel-De Champlain : un bien public.

Or, il reste une part de rocher à protéger et à mettre en valeur : la falaise nord. Les quartiers populaires qui s’y accrochent se partagent une luxuriante forêt de plusieurs kilomètres. Ce texte propose de procéder à la revitalisation de la falaise nord de la capitale nationale.

Projet de l’îlot Dorchester

Le rocher de Québec, dans son dernier dénivelé, après des kilomètres de forêt en débord de ville, voit sa falaise se transformer, rue Saint-Réal, en un belvédère ouvert sur le quartier Saint-Roch, au jardin Jean-Paul L’Allier. L’îlot Dorchester se situe là : à la jonction de « la ville et de la nature ». Nous verrons qu’un seul projet ne fait pas la ville, ni même un quartier. Tout projet contribue à son environnement immédiat et — parfois/rarement — à un environnement plus large.

Le récent projet du Groupe Trudel reste étranger à ce paysage et à une composition urbaine inscrite dans le temps. Aucun dialogue porteur avec son environnement immédiat ET élargi : que du « volume » et de la hauteur… VINGT ÉTAGES… de la « densification » en recherche de dérogation réglementaire.

Au-delà de la masse de ce projet, de l’implantation d’édifices en hauteur, dont une tour coiffée d’un volume de verre, un « hôtel-signalétique » visible de loin, offrant même des vues vers le Saint-Laurent, bien plus loin, laisse perplexe. Le soir venu, cette « tour illuminée » nous aveuglera et fera « disparaître » l’environnement paysager de la vallée du Saint-Laurent, vers le nord, et de la falaise, vers le sud. Le théâtre Le Diamant, Place D’Youville, chapeauté de verre, démontre déjà cet impact visuel.

Construire en profondeur

Invité par l’IDU (Institut de développement urbain) en 2022, le PDG d’un important investisseur immobilier de Saint-Roch a parlé de la « profondeur » de Québec. C’est exceptionnel. On évoque ici la « profondeur d’une ville » tandis que le Groupe Trudel nous parle uniquement de « volume » en négligeant ainsi une dimension essentielle. Auguste Rodin, sculpteur, nous indique la voie.

Rodin explique comment « modéliser des volumes en profondeur » et plusieurs architectes — et civilisations mêmes — appliquent ce principe en construction : « […] l’ensemble de la masse doit être conçu et construit dans ses différentes circonférences… dans chacun de ses profils… Chaque profil est en fait l’évidence extérieure de la masse intérieure ; chacun est la surface perceptible d’une section profonde, comme les tranches d’un melon, de sorte que… la réalité du modèle semble émaner de l’intérieur. » Voilà, c’est simple.

Strasbourg sous la pluie

De manière inattendue, récemment, je me suis retrouvé en « paysage familier », au pied de la Pente-Douce, lors d’une « promenade en contrebas ». Plus loin devant, au-dessus du « basilaire » formé par la falaise, plantée dans l’obscurité, une large voilure de fenêtres illuminées m’a «ramené » pour un court instant, à Midtown, Chicago, où j’ai déjà habité. L’équivalent du projet de l’îlot Dorchester, « VINGT ÉTAGES posés en falaise » était pourtant là, devant (40 m de falaise + 6 étages d’édifices dessus = VINGT ÉTAGES). Cette « image inversée », entre villes, provient de mon expérience de Chicago. Nul besoin de construire plus haut, particulièrement, devant la falaise, qu’on doit pouvoir admirer.

Cette « convergence d’images matérielles » a clairement été décrite par Gaston Bachelard, philosophe (1884-1962) ; c’est une expérience partagée, relativement commune. Il ne nous reste donc qu’à partager une seconde expérience, lors d’un court voyage, d’une « ville inversée et projetée sur et à travers » les dalles mouillées de la grande place de la gare de trains de Strasbourg. Sublime découverte d’un soir pluvieux, tout en «reflets», de l’inattendu : « Strasbourg sous la pluie ». Je n’ai jamais revu de telles « villes inversées », nulle part. On peut cependant en avoir un aperçu, en contemplant la vallée, à partir de la falaise nord de Québec, les soirs d’été.

Dialogue avec la nature

Il y a Prigogine, prix Nobel de chimie, en pleine réflexion et en recherche d’un « nouveau dialogue avec la nature » disait : «Aujourd’hui, le monde que nous voyons à l’extérieur et le monde que nous voyons à l’intérieur convergent. Cette convergence de deux mondes est peut-être l’un des événements culturels les plus importants de notre époque. » Le Nouveau Monde, s’il existe encore, réside ici. Encore faut-il avoir le courage de poursuivre la découverte, en accord avec la nature.

Revitaliser la falaise nord de Québec et adapter la hauteur des constructions en fonction des champs visuels à protéger est de mise. L’objectif est de « rester accroché » à l’immensité de la vallée du Saint-Laurent et de «laisser fleurir la mer», ancienne mer de Champlain, en une ville sans cesse renouvelée, faite de profondeurs et de rêves, dont les « vagues », une à une, en constructions bien jaugées, se cisèleraient en se « fracassant » sur la falaise nord de Québec : bien public inaliénable.

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