Un capitalisme sentimental

Par Michaël Lachance
Publié le 18 février 2024
Québec, 8 février 2024. Photo: DDP

Avertissement: ceci n’a pas été écrit par une I.A.

Le « moi est haïssable » a un jour écrit Blaise Pascal. On le veut conforme à nos désirs, surtout en société. Le moi idéal est romantique. Trop. Bercé par sa propre image projetée à la distance du jusqu’au bout de la perche à selfie, l’ego se distille dans un imaginaire qui ne porte plus à terre. Ainsi, lorsqu’un adulte entre dans la pièce et ferme le robinet d’apesanteur, le retour sur patte est dissociatif. L’acné réapparaît, les dettes financières sont concrètes et, cette autoreprésentation exagérée du nous-mêmes, éclate comme un furoncle qu’on gratte trop anxieusement. Cela dit, il est possible aujourd’hui de se représenter dans le monde plus loin que le bout du nombril. Il suffit de plonger en apnée dans le réel, ôter ses œillères numériques, débrancher le fil ombilical de la toile et savourer ce monde bruyant sans voile.

*

Chez Éluard, sinon la dame en rose-costard prés de la fenêtre, le café est vide. Il est 17 heures, un mercredi d’hiver. La pluie grise et la gadoue sluscheuse ont sans doute rivé la chair habituelle croisée, sur un écran quelconque. La bistrote m’a hélée :

– Veux-tu autre chose Doc ?
Rêveur, je fixe le vide et me laisse transporter dans les idées :

– Un Legendario double pis une crème brûlée avec pas de
coulis aux framboises, merci.
Manuelle est entrée dans le boui-boui autour de 19 heures, elle vient jaser. Elle s’assied, hèle la barista – un latté !

**

J’ai connu Manuelle par personne interposée lors d’un souper avant Facebook. Alors étudiante en littérature vétérinaire, on a échangé sur des sujets et d’autres, on s’est embrassés et j’ai oublié la suite. Les réseaux sociaux aidant, on a gardé un lien tissé par le fil tentaculaire des relations soudaines. Et, voilà deux semaines, elle m’a contacté :

– Salut

-Doc, comment vas-tu ? Fait un bail ! Quoi de neuf ? Toujours aussi fou ? Je t’écris car, ma thèse est soumise à la soutenance.

– eh oui ! chose, j’ai enfin fini !

-j’aimerais me sortir la tête des livres et discuter avec des humains ! MDR. On se siffle une bouteille de rosé quelque part prochainement ?

***

J’ai invité la thésarde à siffler chez Éluard un 14 février sur Terre. Sans même avoir oublié cette fête quétaine de l’amour-capitaliste qui sert à engouffrer les restos de badauds et faire rouler l’économie occidentale en ce creux post-décembriste coûteux. Allons-y, participons à l’orgie dépensière pour nourrir cette bête avide d’argent :

– Il fait chaud dehors et le café est vide, un jour de Saint-Valentin, drôle de scénario, tu trouves pas ?
– Idéal pour moi.
– T’es con ! ahaha
– Tu bosses-tu ces temps-ci ? On m’a dit que t’as été radié
du Collège des médecins ? S’cuse-moi, je ne veux pas retourner
le fer…
– Nah, ça va, commence à faire bout’, je me suis recyclé en
rêveur surnuméraire.

Le café vide est soudainement rempli par cette société bigarrée ; l’heureuse présence de Manuelle, la brise de la bistrote
distraite au téléphone sans fil et la volupté figée de cette dame
en rose-costard près de la fenêtre.

Sur Couillard, ce soir, les gens passent vite, ils ignorent la suite…

Commentaires

  1. …la suite ?

    Je hais les chutes hypothétiques qui nous obligent à lire plus tard! On va attendre 2 mois pour savoir ce qui se passe après ???

  2. Comme Roumain, j’ai l’impression de lire Emil Cioran, façon rigolote. J’aimerais le lire ailleurs, on sait s’il écrit des livres ?

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