Dettes à l’aide sociale: le mythe de Sisyphe

Par Andréann Poirier
Publié le 15 décembre 2023
Rassemblement du 20 novembre contre les dettes à l’aide sociale. Photo: ADDSQM

Le 20 novembre dernier, l’Association pour la défense des droits sociaux du Québec Métropolitain a organisé un rassemblement militant devant les bureaux du centre de recouvrement des dettes à l’aide sociale. Des manifestants se sont dirigés vers le bâtiment où persiste une violence systémique afin de dénoncer le nouveau taux d’intérêt imposé sur les dettes des personnes bénéficiant de l’aide sociale par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale.

Les organisateurs de la manifestation ont choisi cet endroit stratégique, quoique peu connu du grand public, parce que c’est là que les dettes sont calculées. « On souhaitait mettre ces pratiques sous les projecteurs, dénoncer ce qui se passe à l’intérieur de ce petit bureau discret », raconte Laurent Lévesque, intervenant à l’ADDSQM. Sur place, plusieurs passants ont exprimé leur soutien envers les militants. Situé à proximité de l’Auberivière, dans le quartier St-Roch, de nombreuses personnes vivant dans des situations précaires ont pu apprendre et constater que leur cause était défendue dans la rue.

ADDSQM : la campagne de lutte contre l’endettement à perpétuité

Rappelons que cette action militante s’inscrit dans le cadre d’une vaste campagne de l’ADDSQM, inaugurée par le lancement du dossier noir sur les dettes en février dernier. Ce document regroupe une dizaine de témoignages poignants de personnes qui vivent des maigres subsides de l’aide gouvernementale de dernier recours et qui se retrouvent à devoir rembourser une dette envers le ministère à la suite d’une ou plusieurs fausses déclarations. À ce propos, il faut savoir que 80% de l’ensemble des fausses déclarations à l’aide sociale ont été reconnues, par le Ministère lui-même, comme étant des erreurs de bonne foi. La vie maritale, l’héritage, des dons sont souvent en cause et surtout un règlement flou et complexe qui perd facilement les gens et les rend susceptibles de faire des erreurs.

Bref, une multitude de personnes qui bénéficient d’un programme à l’aide sociale ont fait appel à l’ADDSQM, confrontées à une « dette perpétuelle » envers le ministère. Cette situation survient quand le montant maximum prélevé sur leur allocation de base pour le remboursement de leur dette ne dépasse pas le montant des intérêts mensuels encourus sur celle-ci, qui ne fait donc qu’augmenter au fil des ans au lieu de diminuer. Une situation qualifiée « d’absurde » par Laurent Lévesque, militant de l’ADDSQM.

Survivre avec des miettes : les défis financiers avec 770$ par mois

N’oublions pas que le montant de base accordé à une personne seule est de 770 $ par mois. Déduisons systématiquement de cette modeste somme 224 $, il ne reste que 546 $ à cette personne pour se loger et se nourrir. Quant aux revenus de travail, ils ne peuvent pas dépasser plus de 200$, sans quoi ils sont aussi déduits sur l’allocation. Comment réagir devant l’absurde ? La plupart se retrouvent face au désespoir.

D’ailleurs, difficile d’encourager le bénéficiaire aux prises avec une dette sisyphéenne, contractée à la suite d’une malencontreuse erreur, de réintégrer le marché de l’emploi. Sisyphe avait été condamné à pousser sa lourde pierre jusqu’au sommet d’une montagne, pour la voir ensuite retomber en bas et recommencer, et ce éternellement, en guise de châtiment. La cruauté des pénalités ont pour effet de démoraliser la réinsertion sociale de ces gens au lieu de l’inciter, alors que l’on devrait s’attendre à ce que le programme d’aide sociale du Ministère de l’emploi et de la solidarité réponde à la mission qu’il s’est lui-même donnée, soit de lutter contre la pauvreté. En somme, même pas besoin d’être « de gauche » et de se soucier d’équité pour s’indigner ; il suffit d’avoir un minimum d’intelligence et un souci de cohérence pour voir qu’il y a une contradiction entre la mission du ministère et son programme.

Constat d’échec des efforts politiques : la ministre Rouleau indifférente

Le dossier noir, rédigé et publié par l’ADDSQM dans le but de sensibiliser à cet enjeu, visait surtout à être présenté à l’Assemblée nationale pour encourager ceux ayant le pouvoir de modifier cette loi à le faire. Une représentation au niveau politique a suivi son lancement, au cours de laquelle le document a cheminé. Il a été remis, en mains propres, à Chantal Rouleau, la ministre de l’emploi et de la solidarité sociale. Laurent Lévesque assure qu’ils ont donc été «écoutés et entendus chez nos élus».

Mais, ces efforts n’ont pas conduit à des résultats concrets, suscitant le mécontentement de l’ADDSQM. Depuis le lancement du dossier noir il y a moins d’un an, le taux d’intérêt sur les dettes des personnes à l’aide sociale a augmenté d’un point, passant de 9% à 10% : « La situation a empiré », déplore-t-il.

Le constat est d’autant plus frustrant que la ministre est informée de la situation, détenant le dossier noir et le pouvoir sur cette loi.

L’ouvrage publié par l’ADDSQM relate une dizaine de cas, parmi les plus frappants, mais il est important de souligner que la majorité des appels à l’ADDSQM, appels qui ne font que croître dernièrement, concernent ce grave problème d’endettement. Certaines personnes citées dans le dossier noir doivent de 20 000 $ à 90 000 $ au ministère à la suite de « fausses déclarations ».

Ces cas sont extrêmes, mais il suffit d’une dette de 2 000 $ pour qu’une personne se retrouve dans l’incapacité de la rembourser à cause du taux d’intérêts. Son allocation sera ainsi considérablement réduite pour aller engraisser le solde d’une dette au lieu de l’amoindrir. « C’est triste, ça nous attriste vraiment à l’ADDSQM de voir ça… », confie Laurent Lévesque. En plus, ces gens-là sont honnêtes, ils veulent rembourser leurs dettes. Mais, à cause du règlement dans la loi, ils ne pourront juste pas y arriver. »

L’ADDSQM demande donc plus que l’abolition des taux d’intérêts sur ces dettes, il demande l’abolition des dettes à l’aide sociale, purement et simplement. Certes, le gouvernement impose ces règles pour punir, aller chercher le 20% de vrais fraudeurs. Mais, considérant que le ministère a avoué que 80% des fausses déclarations étaient des erreurs de bonne foi, il est évident que le jeu n’en vaut pas la chandelle.

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