Quand la planète Terre ne semble pas tourner très rond, comme c’est le cas depuis un an, ou deux, ou trois, la plongée dans un polar, ou deux, ou trois, semble le moyen tout trouvé de se distraire de bien des maux. Donc acte, avec Donna Leon et Michael Connolly.
Née aux États-Unis, dans le New Jersey, mais Italienne de cœur et d’adoption, la célébrissime Donna Leon, 81 ans bien sonnés en 2 023, a fait de la Sérénissime (Venise), où elle a vécu à temps plein durant trois décennies, le théâtre d’une trentaine de polars mettant en scène le nom moins célèbre commissaire Guido Brunetti.
Homme intelligent et féru de littérature, Brunetti, bien que d’origine modeste, a épousé Paola Falier, issue de l’une des familles les plus influentes de Venise. Un mariage d’amour, qui cependant s’avère utile, car le commissaire a souvent maille à partir avec le beau linge, comme c’est le cas ici. Elisabetta Foscarini, une noble de la plus belle eau, débarque un matin dans le bureau de Brunetti, qu’elle connaît depuis l’enfance. Son gendre, brillant comptable, serait mêlé à des affaires douteuses, au risque de mettre en danger toute la famille. Et madame la comtesse, pétrie d’amour maternel, s’inquiète vivement pour sa fille…
Brunetti suivra bientôt la piste d’une fondation caritative mise sur pied par le mari d’Elisabetta. Ce dernier, récemment retraité, s’est découvert une conscience sociale et a jeté son dévolu sur le Bélize, un petit pays d’Amérique centrale. Or pour les magouilles financières de grande ampleur, rien de tel que les organisations à but non lucratif. Par surcroît Matteo Fullin, l’un des trois administrateurs de la fondation, souffre vraisemblablement d’Alzheimer. Il pourrait signer n’importe quoi, non ? À vue de nez, cette fondation ne sent pas bon, et Elisabetta se méprend peut-être sur son gendre.
Pour trouver l’assassin, il suffit de suivre l’argent, dit-on. Le Don du mensonge est un polar sans assassin, mais l’argent y circule à profusion. Forcément ! Nous sommes dans la haute société vénitienne – les Falier et les Foscarini sont d’ailleurs des familles patriciennes réelles –, allons de palazzo en palazzo… Les aristocrates dépeints par Donna Leon sont des gens civilisés et cultivés, et du genre à aider leur prochain par l’entremise de fondations. Alors là où Brunetti cherche de la malversation, c’est autre chose qu’il trouve…
Donna Leon excelle dans la veine psychologique, comme le savent ses fidèles ; le sanglant n’est pas trop son verre de grappa. Ce livre-ci, qui s’articule autour de thèmes comme la jalousie, l’envie, la manipulation, en est un bel exemple. La nature humaine peut se révéler incroyablement méandreuse, se dira-t-on au terme du récit. Justice pour les morts
Autre vétéran du genre policier, Michael Connelly propose, lui, la 27e enquête de Harry Bosch. Septuagénaire et retraité du Los Angeles Police Department (LAPD), Bosch repart en selle à la demande de son ancienne collègue Renée Ballard. Celle-ci, tannée de la misogynie qui y règne, a quitté le LAPD, mais revient aujourd’hui car on lui offre la direction d’une unité consacrée aux affaires non résolues. Beau défi, à relever avec une technologie sophistiquée mais avec une équipe réduite. Qu’à cela ne tienne : Bosch, hanté par sa propre affaire non résolue – l’assassinat d’une famille entière –, est partant.
Le dossier qui occupe l’équipe est le viol et le meurtre, à onze ans d’intervalle, de deux jeunes femmes. L’une, Sarah Pearlman, est (était) la sœur d’un conseiller municipal. C’est dire que les pressions politiques sont grandes. Ainsi, le chef de cabinet du conseiller est plutôt harcelant. Au point de devenir le principal suspect… Une fois l’écheveau démêlé – les deux écheveaux, en fait, puisque nous sommes en présence de deux intrigues –, on s’inclinera devant l’ingéniosité de Connelly. Ici encore, il est question de manipulation, et cela va jusqu’à l’extrême trahison. Michael Connelly est de ceux, croyez-moi, qui ne donnent pas envie d’avoir des amis.
Avis aux mordus de Harry Bosch : Connelly est peut-être en train de préparer la disparition de son personnage fétiche et son remplacement par Renée Ballard, que l’on voit dans L’Étoile du désert pour la quatrième fois. Place aux femmes !