Le paysage dominé par la technique

Par Claude Bélanger, Ph. D. Géographie urbaine
Publié le 24 septembre 2023
Le Québec défiguré. Une géographie de la laideur, Luc Bureau, Moult Éditions, juin 2023 (détail)

Tout juste avant que son dernier livre Le Québec défiguré. Une géographie de la laideur ne paraisse chez Moult Éditions en Juin 2023, le géographe Luc Bureau est décédé. Ainsi, on peut penser qu’il s’agit là d’un testament qui porte les idées les plus importantes qu’il tenait à nous transmettre. Luc Bureau a fait carrière au Département de géographie de l’Université Laval, inscrivant ses recherches dans le champ de la géographie culturelle. Au fil des ans, il a publié une dizaine d’essais sur l’espace géographique tel qu’il est perçu culturellement. En eux-mêmes, les titres de ses ouvrages sont évocateurs d’une démarche originale et même poétique : La Terre et moi (Boréal 1991), La Géographie de la nuit (Boréal 1997), Pays et mensonges (Boréal 1999), Terra Erotica (Fides 2009), etc.

Le travail de Luc Bureau présente une nouvelle manière d’aborder la géographie. Sa recherche s’inscrit dans un cadre culturel élargi qui fait appel au mythe, à l’imaginaire, à la sociologie ou à la philosophie. Ses impressions personnelles, les références à ses propres expériences font aussi partie de sa démarche et sont souvent exprimées comme telles dans ses textes.

Dans Le Québec défiguré. Une géographie de la laideur, Luc Bureau tourne sa caméra vers les disgrâces dont sont affublés les paysages produits par les sociétés industrialisées. Les thèmes sont nombreux et variés : espace urbain, banlieues, campagne, lacs et rivières, infrastructures industrielles, tourisme de masse, affichage commercial, etc.

Dans cette réflexion sur les paysages défigurés, le message le plus important est celui qui relie l’enlaidissement de l’environnement à la dégradation du milieu écologique. L’origine des problèmes est que maintenant, on ne considère les travaux d’aménagements que sous leur aspect technique, alors qu’aux époques anciennes ils relevaient des Beaux-Arts. Luc Bureau rappelle que « dans notre siècle mathématique (…) la construction et l’expansion des villes sont devenues des questions purement techniques. ». On a perdu avec les années une nécessaire coordination entre la nature des aménagements construits et leur contexte culturel, géographique, sociologique.

Malgré tout, les textes de Luc Bureau ne sont pas si sombres car ils s’inscrivent dans une réflexion générale sur l’évolution de la société, sur les forces qui poussent celle-ci à produire la laideur. Le cadre de la réflexion inclut les grands textes de l’histoire de la pensée, en remontant jusqu’aux mythologies de l’Antiquité. Enfin, comme a toujours su le faire Luc Bureau, l’humour et l’ironie émaillent un discours vif et loin d’être ennuyeux. Une dernière nouveauté : l’auteur a dessiné lui-même les croquis qui illustrent le texte. On pense à Antoine de Saint-Exupéry qui tenait à illustrer lui-même son Petit Prince. Il n’y a pas de hasard : «La beauté est éphémère » comme mentionne le géographe au Petit Prince.

Avec les années, les critiques littéraires ont toujours loué le magnifique style de Luc Bureau. Ici s’ajoute l’importance du message concernant la beauté des paysages et la conservation des milieux naturels. Luc Bureau cite, du début de l’ouvrage, Élisée Reclus (1830- 1905), le géographe auquel il a souvent fait référence :

« Une harmonie secrète s’établit entre la terre et les peuples qu’elle nourrit, et quand les sociétés imprudentes se permettent de porter la main sur ce qui fait la beauté de leur domaine, elles finissent toujours par s’en repentir ».

« Du Sentiment de la nature », La Revue des Deux Mondes, no 63, 15 mai 1866.

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