L’«autre» été à Québec… avec art

Par Guy Sioui-Durand
Publié le 22 septembre 2023
Le Musée de l’eau de Giorgia Volpe, sous le pont de l’Aqueduc jusqu’en octobre 2023. Photo: Giogia Volpe

Je sais, l’automne est installé. Mais revenons, le temps de ce texte, vers le bonheur commun comme regard «autre» de cet été à Québec1. Ça et là le long de nos routes d’eaux et parcs, l’art à visée communautaire dehors est réapparu. Des cascades moins connues de la rivière Beauport mais surtout le long des rives de la rivière Akiawenrahk (St-Charles), allant de la chute tumultueuse à Wendake jusqu’à l’entrée dans le fleuve, de tels «signaux faibles» par rapport aux grands événements se firent œuvres tantôt sous le pont de l’Aqueduc, entre les passerelles des Trois Sœurs et celle de la Tortue, dans la cour de l’îlot de l’Intendant, au Bassin Louise jusqu’à la Place Royale, inoculant du merveilleux et de l’«ensauvagement » par l’art dans la vie quotidienne.

Du côté des cascades de la rivière Beauport

Une promenade vers les paisibles cascades de la rivière Beauport ne pouvait que tempérer les montées turbulentes des eaux des rivières et les fumées des feux de forêts. À proximité s’y trouve La vie est belle, monsieur Drouillard, un trio œuvré d’ados perplexes par le sculpteur et musicien Jean-Robert Drouillard. Songeaient-ils à la luxuriante installation Les armures de satin, à la mémoire des sororités passées et futures orchestrée par la talentueuse Annie Baillargeon, cocréant avec des femmes aînées engagées dans leur communauté dans Charlesbourg ?

Le long de la rivière Akiawenrahk / Saint-Charles

Mais c’est surtout la déambulation artistique estivale le long de la rivière Akiawenrahk / Saint-Charles que ça s’est orchestré. Elle a commencé à Wendake où le Pow wow a connu une étincelante édition marquée par une nouvelle génération de danseuses. Les rythmes et sons autochtones se transporteraient en août au kiosque Edwin Bélanger sur les plaines avec le dynamique spectacle musical du rappeur wendat-guinéen Joseph Sarenhes, entouré de sa sœur dansant en regalia Aisha N’diaye Bastien et de leur père, tandis que les arts visuels s’inséreraient dans les passages insolites à la Place Royale. Entre les deux pôles, bien des surprises.

Le Musée de l’eau de la rivière

Sous le pont de l’Aqueduc 2, l’artiste d’origine brésilienne et résidente du quartier St-Sauveur Giorgia Volpe a installé en équipe Le Musée de l’eau. Sous forme de magnifiques cubes vitrés. Ils contiennent des bouteilles de verre stylisées remplies de prélèvements d’eau en provenance de divers endroits du fleuve, de la rivière ou du lac réservoir d’eau potable. Que voilà de l’art public écologiste « glocal », c’est-à-dire invitant à agir ici en ayant une conscience planétaire. À Québec seulement près de 200,000 bouteilles d’eau en plastique sont utilisées tous les jours alors que les défis entourant l’accès à l’eau potable que posent les sécheresses, inondations et ébullitions climatiques, déterminent un enjeu planétaire.

Biindaakoozh, un bijou de sculpture publique

Au Musée de l’eau s’ajoute l’élégante sculpture Biindaakoozh, ce qui signifie et exprime en langue anishnaabe ( a’thekwänonhronhkwänion’ en langue wendat), ce sentiment sacré autochtone du rapport au ciel, à la rivière, aux grands arbres et à la flore. Œuvre de l’artiste Anishinaabé Nico Williams, voilà un bijou d’œuvre d’art autochtone public. Sise à Stadaconé (Limoilou) près de la jolie passerelle de la Tortue, cet ajout nous rappelle qu’il y a plus d’une dizaine de sculptures le long des deux rives avec des noms évocateurs comme Suivre son cour, être rivière ou école buissonnière. 3

Osez danser solo

Mi-août, d’originaux solos de danse pour simples spectateurs participèrent à notre déambulation artistique le long des berges, avec une pointe au Parc de l’Artillerie. Il fallait y vivre la simplification dansée des fameux tableaux de théâtre vivant d’Où tu vas quand tu dors en marchant? dont l’édition de 2019 s’était installée des deux bords vers la passerelle des Trois Sœurs. Les corps dansés d’une Angélique Amyot, très active comme intervenante sociale par la danse dans la communauté et la présence du réputé Benoît Lachambre entre les arbres de la rivière, en étaient.

La Place Je dis

Autre escale populaire en se rapprochant du fleuve : la cour de l’îlot de l’Intendant à la basse-ville. L’inventif collectif Théâtre Rude Ingénierie a transformé la cour arrière de son atelier en Place Je dis pour rencontres conviviales, observations du maïs qui pousse, vol des abeilles autour de leur ruche, films environnementaux et pique-niques pour tous.

Des passages insolites investis des esprits ensauvagés

Laissant le dessin sculpté, Le grand rêve américain de Jasmin Bilodeau aux couchers de soleil sur le quai du bassin Louise, le quidam pouvait monter l’étroite rue/ escalier en pente qui mène de Place Royale à la Côte du Palais, comme Passages insolites, en frôlant aux étages du bâtiment des installations exceptionnelles d’artistes allochtones et autochtones – une première en dix ans d’existence de l’événement – en ce lieu premier de la Nouvelle-France.

Kakike ickote / Kakiwimohowk

L’artiste Atikamekw Nehirowisiw originaire d’Opitciwan Eruoma Awashish, a orchestré son installation animalière Kakike ickote (Feu éternel) dont on aurait dit, avec Kakiwimohowk (ils chuchotent), que certains corbeaux s’étaient échappés des voûtes historiques de ce bâtiment jadis occupé par un commerçant des fourrures vers l’escalier extérieur.

Rassemblement familial

L’étonnant Rassemblement familial (2019) donnait à penser à une maison longue sous forme d’abri tempo aux parcours surchargés de souvenirs d’époque et de lieux de remises comme agencements d’objets. Ici le génie wendat de Ludovic Boney4 ne manquait pas de sourires.

Marée noire

Reflet « fissuré » de la part française de l’alliance commerciale à l’époque de la traite des fourrures, se trouvait l’exceptionnelle Marée noire, une totale prise de possession sculpturale de l’étage premier. Signature de Baptiste Debombourg, des vitres craquelées d’automobiles recouvrant tout, du mobilier au plancher pour se fondre aux murs vitrés visibles de la rue-escalier. Ajoutons-y SmallTalk d’Anthony Mouse, la mignonne miniature des façades de la rue Notre-Dame en soupirail. Les pratiques d’art communautaire publiques, principalement écologistes, sont de retour. Dans tous les cas, ces haltes innovantes donnent encore à penser que l’on peut changer le monde par l’art.

 

1 Bien sûr, il y eut les croisières vers l’Isle-aux-grues fêtant le centenaire du fameux peintre des grandes oies, Riopelle. Des voitures « vintages » comme à Cuba se sont stationnées sur le quai du fleuve. Le grandiose Festival d’été de Québec s’est ajusté aux éclairs et à la pluie pour célébrer la résilience musicale francophone pour nos «cow-boys » des perséides « filantes ». Que dire du design urbain et l’achalandage à la nouvelle plage du Foulon s’ajoutant à la baignade.
2 Le projet et la sculpture de Volpe est là où se trouvait au XIXe siècle l’aqueduc municipal et dernier espace bétonné des berges de la rivière.
3 L’esprit des lieux de qu’est la rivière Akwawenrahk (Saint-Charles) et ses berges recèlent plus d’une dizaine de sculptures: Classe buissonnière, Ludovic Boney 2008; Habitats fauniques (Grand Héron, Martin-pêcheur, Goéland à Bec fermé, Hirondelle bicolore) Truong Chanh Trung 2008; Être Rivière, Luce Pelletier 2008; Le tout reste un peu flou, Marc-André Côté 2009; Suivre son cours, Caroline Gagné, 2009; Panorama Charlie, MC Grou 2023; Musée de l’eau, Georgia Volpe, 2023; Biindaakoozh, Nico Williams, Le Fruit Maudit, Cooke-Sasseville 2021; deux interventions architecturales Passerelle des Trois Sœurs, ABCP Architecture 2016; Passerelle de la Tortue, ABCP Architecture 2021; 2023 et nombre d’activités artistiques comme Où tu vas quand tu dors en marchant ? 2019 du Carrefour international de Théâtre; le projet collectif in situ Yahndawa’, portages entre Wendake et Québec 2021-2022 et Ozez! En solo, Danse K par K.
4 Les sculptures d’envergure en lieux publics de Ludovic Boney « marquent » le territoire de Québec avec Cosmologie sans genèse dans la cour du Musée national des beaux-arts sur les plaines (2016) comme l’imposant Codex Populi à l’Hôtel de Ville (2017) son lumineux Lever de soleil sur le Nord sur la base de plein air à Sainte-Foy (2019) ou Les arches d’entente dans le hall du Musée de la civilisation 2020.

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