Radio X contre « Sortons les radios-poubelles », un acharnement inexplicable

Par W. Stuart Edwards
Publié le 19 avril 2023

Dans mon Larousse de poche, la justice est une « vertu qui inspire le respect absolu du droit des autres ». Dans le litige entre Radio X et la Coalition sortons les radios-poubelles, on peut se demander s’il y a une justice.

Anonymat perdu ?

J’ai signé récemment un texte dans Droit de parole basé sur le jugement du 11 octobre 2022 (2022 QCCS 4299) où le juge Alain Michaud de la Cour supérieure avait accordé une ordonnance de type « Norwich ». Les administrateurs anonymes de la Coalition seraient démasqués par Meta Platforms, la maison mère de Facebook. Le jugement était sans équivoque : Meta devait communiquer l’identité des administrateurs de la page Facebook aux avocats de RNC Média, propriétaire de Radio X. Malgré cette ordonnance Norwich, la Coalition n’a pas perdu son anonymat. Que se passe-t-il au juste ?

Un faux compte et un mystérieux fournisseur de service internet

Me Philippe Boily pour RNC s’est présenté devant le juge Philippe Cantin le 16 décembre 2022. Il raconte comment Meta avait fourni certaines données, mais qui ont mené à un « faux compte ». Il demande six mois de délai, le temps d’interpeller « un fournisseur de services internet ». Le juge trouve ça long, six mois, et il demande qui est le fournisseur. Me Boily répond simplement « un fournisseur » sans le nommer*.

Les Norwichs se multiplient

Une ordonnance de type « Norwich » oblige un tiers à dévoiler certaines informations nécessaires à la justice. Les données de Meta n’étaient pas suffisantes pour identifier les administrateurs de la Coalition. Quelques numéros de téléphone, quelques adresses IP, mais pas les noms, semble-t-il.

Sur la base de ces informations, et de l’analyse de ses propres « experts en enquête informatique »**, Me Boily a lancé quatre nouvelles demandes Norwich (dossiers 200-17-034447-235, ..48-233, ..49-231, ..50-239) ciblant au total six entreprises : Vidéotron, Rogers, TELUS, Twitter, Tucows (un service d’enregistrement des noms de domaines, à Toronto) et Substack (un plateforme de publication sur abonnement, à Kitchener en Ontario). C’est plus qu’un seul fournisseur de services internet. Toutes les opérations de la Coalition sont maintenant sous enquête.

Qui, par exemple, avait demandé le nom de domaine sortonslespoubelles.com ? Qui sont les clients de Vidéotron associés aux adresses IP ? Qui sont les administrateurs de la page Twitter@sortirpoubelles ? Qui a créé sortonslespoubelles.substack.com (la section du site appelée « Le dépotoir ») ? Qui sont les clients de Rogers et TELUS liés aux numéros de téléphone ?

Acharnement inexplicable

On peut se demander à quoi ça sert, toute cette frénésie juridique. Y-a-t-il de la justice quelque part ? L’objectif avoué est de poursuivre « tout ce beau monde », comme Me Boily a décrit les gens de la Coalition. Mais pour cela, il faut les identifier. Toutes ces requêtes Norwich tentent de se justifier par la poursuite engagée en juin 2021 contre deux personnes prétendument associées à la Coalition, dont le lien de responsabilité n’a jamais été établi. Radio X réclame 10 000 $ de chaque défendeur, un montant digne d’une cour de petites créances. Cela n’explique en rien l’acharnement démesuré de ses avocats. Le pdg Philippe Lefebvre a lui-même qualifié la somme de symbolique : « On aurait pu mettre n’importe quel montant ».

Sensibilisation ou harcèlement ?

La poursuite avait été précipitée par la campagne de sensibilisation « Annonceurs, assumez-vous votre CHOI ? », ce que Radio X a qualifié d’« incitation au harcèlement ». En avril 2021 la Coalition avait invité le public à contacter les acheteurs de publicité afin qu’ils cessent leurs affaires avec la station. Mais les annonceurs, pour la plupart, sont restés déterminés à continuer leurs achats de pub. Voici, par exemple, Guillaume Bard de Greffe de Cheveux PAI : « Ce n’est pas à Radio Galilée qu’on va rejoindre notre monde ».

Une pandémie qui fait mal

Difficile de blâmer la Coalition pour les déboires de Radio X. Suite à son refus de diffuser les annonces gouvernementales sur les mesures sanitaires, et la désinformation véhiculée par ses animateurs et invités, le maire Labeaume l’a qualifié de menace pour la santé publique. La Ville a annulé ses pubs et plusieurs entreprises ont fait de même.

Radio X n’a chiffré aucune perte liée aux activités de la Coalition. Il n’y a pas d’état financier ou autre pièce justificative dans le dossier, et aucune indemnité compensatoire n’est réclamée. La somme symbolique de 10 000 $ en dommages est purement punitive.

Mais punir quoi ? La Coalition a le droit, comme tout le monde, de critiquer une station de radio. Les deux personnes poursuivies ont nié, sous serment, toute responsabilité, et il n’y a jamais eu de détermination de faute par le tribunal. Aucune perte, aucune faute, aucun lien de responsabilité.

La Ligue des droits et libertés s’en mêle

Face à la multiplication de demandes Norwich, la Ligue des droits et libertés, section Québec, a dénoncé une poursuite ayant pour but de faire taire toute critique. Maxim Fortin de la Ligue trouve ça ironique que Radio X, qui par le passé avait fait de la liberté d’expression son cheval de bataille, s’attaque maintenant à la liberté d’expression de la Coalition.

Vidéotron, Rogers et TELUS se plient

Le 31 mars dernier, Me Bruno Lévesque pour Radio X voulait que le juge Claude Bouchard entérine une entente négociée à huis clos. Les trois entreprises identifieraient leurs clients. Les clients de Vidéotron et Rogers ne seraient même pas avisés. (La politique de TELUS, par contre, exige que ses clients soient informés avant la transmission de leurs données personnelles.) Plusieurs citoyen.ne.s ont assisté à l’audience. Simon-Olivier Gagnon, doctorant en archivistique à l’Université Laval, a pris la parole dans une «intervention amicale», un type d’intervention qui permet d’informer le juge sur des enjeux d’intérêt public, particulièrement l’importance du travail de la Coalition en tant que critique médiatique, et de ses archives, pour la recherche universitaire. Les avocats de Radio X ont objecté, mais sans succès. Le juge tranchait que le tribunal doit au moins écouter.

La justice dans tout cela ?

Malheureusement, ce n’est pas la fin de l’histoire. Les trois Norwich visant Twitter, Tucows et Substack sont encore à venir, et toute personne identifiée risque d’être poursuivie. Alors, ne cherchez pas la « vertu qui inspire le respect absolu des droits des autres » dans l’affaire de Radio X contre « tout ce beau monde ». Il n’y a que la volonté malsaine d’instrumentaliser le système judiciaire afin de punir et bâillonner des gens qui n’ont rien fait de mal, des gens qui ne font que critiquer une station de radio.

* Procès-verbal du 22 décembre 2022, 200-17-032501-215.
** 2022 QCCS 4299 p. [10] : « RÉSERVE le droit de la demanderesse RNC Média inc. de modifier les présentes procédures afin d'y ajouter des défendeurs additionnels, si jugé nécessaire par ses experts en enquête informatique, suivant la réception des informations demandées à la défenderesse [Meta Platforms] ».


    

Commentaires

  1. Simon-Olivier Gagnon, celui qui a fait l’intervention amicale lors de l’audience du 31 mars 2023, a publié un texte pour marquer la Journée mondiale de la liberté de la presse. « La liberté de presse est également en crise à cause d’un certain modèle économique des médias qui rallie un auditoire et génère du profit, de la plus-value, en diffusant des propos diffamatoires ou de fausses nouvelles. Il n’y a pas besoin d’aller chercher des illustrations de ce modèle d’affaires aussi loin qu’aux États-Unis avec Fox News ou Breitbart News, car le phénomène se passe aussi dans la ville de Québec. » https://radio.archapo.com/2023/05/03/bonne-journee-de-la-liberte-de-presse/

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