Par Renaud Pilote
Petite marche, par une belle soirée de fin d’été, jusqu’à Limoilou. Je lève la tête et je me dis : « Que de balcons en ce bas monde ! » Sur chacun des trois étages, de la première rue à la dix-septième, on s’y prélasse à l’ombre des érables chatouillant de leurs feuilles les balustrades métalliques. Dans Saint-Jean-Baptiste, ils se cachent plutôt à l’arrière des plates façades que l’on doit savoir franchir pour atteindre les cours intérieures, où ils pullulent et se relient via moult escaliers et passerelles.
Sur la rue des Remparts, on jette un regard en bas et on les voit, perchés aux toits de la rue St-Paul, à attendre les prochains barbecues que daigneront concocter les propriétaires de ces condos (en ce moment à New York). Sans oublier ceux du théâtre, qu’on voit mal et qu’on ne regarde pas, mais qui sont là. Il y a donc beaucoup de balcons. Il n’y en a pas trop.
Le balcon et l’été font bon ménage car, alors que les journées s’étirent, l’appartement s’agrandit. Si, en ville, chaque pouce d’espace vaut son pesant d’or, le balcon fait de nous les princes des ruelles, pachas des pignons, califes des corniches. Certains y accrochent leurs vélos, d’autres des boîtes à fleurs, tandis que les cordes à linge donnent des vacances aux sécheuses exténuées par les longs mois d’hiver. Le bonhomme en bedaine y tète bières et pastis pendant que le chat s’y vautre pour faire un brin de toilette en attendant l’oiseau du soir, sur sa branche coutumière. La conversation y est douce. Vers six heures, on met la nappe sur la petite table et, d’un seul coup de blé d’inde, le beurre s’affaisse d’aise. L’été est lent et sur chaque balcon, le temps un peu se meurt. Il n’y a jamais trop de temps morts.
Refuge des fumeurs lors des fêtes (pour eux, le proverbe est « Noël au balcon, Pâques au balcon »), l’endroit est rarement bondé. La capacité maximale de ces frêles encorbellements est comme sous-entendue de tous. Ça serait quand même fâcheux que tout cela s’effondre. De toute façon, le vrai party est dans la cuisine. On ne le répètera jamais assez.
Rassurez-vous si vous habitez un demi-sous-sol ou si votre balcon est trop petit pour y faire quoi que ce soit : nul ne sait profiter de son balcon comme il le voudrait. Un tel bonheur s’avère en fait presque insoutenable. Les deux semaines de beau temps que l’on nous octroie chaque année sont comme un rêve, une vision imbibée de sangria qui nous plonge dans le regret aux abords de septembre. Retenant des larmes que chatouille ma nostalgie, du haut de mon balcon, je baisse la tête et je me dis : « Qu’est-ce qu’on peut avoir l’air con comme ça, assis tout seul sur son balcon… » Trop, c’est comme pas assez.