La gauche canadienne anglaise m'a rendu visite : on a jasé du Québec… de stratégie… de justice sociale…

Publié le 19 novembre 2013

Par Malcolm Reid

Le Québec vit une relation avec le Canada anglais, on peut le dire, non? C’est un truisme. Peut-être que l’indépendance s’en vient, ou peut-être que la fédération va continuer. Mais ce vivre-avec entre nations voisines a deux siècles de fait… et il va exister aussi dans les siècles futurs. Moi, voyant les choses culturellement, je ressens une «indépendance » qui est déjà commencée. (Depuis 1976 peut-être?) Un vivre-avec qui est déjà une coexistence de deux souverainetés.

 

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Le hic, c’est l’État. Le seul drame qui passionne les deux souverainetés également, c’est le drame parlementaire à Ottawa. Le régime actuel dans cette capitale, c’est un bon forum des droites. Privatize! Privatisons! Les droites se comprennent. Mais le forum des gauches, elle, n’est pas encore ouvert. Mon article va chercher à ouvrir le forum. La gauche canadienne anglaise, où en est-elle?

Le Canada anglais a-t-il une gauche? Moi je n’ai jamais eu de doute là-dessus, car j’ai été élevé dans la gauche canadienne-anglaise, un univers qui constitue la sève de ma culture. Même enraciné aujourd’hui au Québec, je ne peux pas ne pas avoir ces racines. Je ne peux pas analyser les choses sans elles. Et la semaine dernière, une remarquable occasion de jaser avec la gauche canadienne- anglaise m’est échue. Je n’avais rien fait pour ça! Par pur hasard, j’avais commencé la lecture d’une biographie d’un des grands de la gauche canadienne- anglaise, Tommy Douglas, juste la semaine précédente. Ça adonnait bien. La Canadian Union of Public Employees, ou Syndicat canadien de la fonction publique, était en congrès au Centre des congrès, et des Canadiens-anglais de gauche en grand nombre sont venus prendre leur café au même café où moi je prends mon café. (Leur syndicat compte 650 000 membres.) Elles étaient là lundi. (Des femmes de Windsor, Ontario.) Ils étaient là mardi. (Employées scolaires d’Oakville, Ontario; un couple de Vancouver.) Ils étaient là mercredi. (Des Saskatchewanais.) Ils étaient là jeudi. (Winnipeg, lieu-saint de la Canadian Left. Et Calgary, plutôt conservateur.) Ils étaient là vendredi. (Delta, B.C… Des SCFP québécois, aussi, sont venus vendredi.) Samedi, le congrès était fini… Ils étaient encore là! (Colombie-Britannique; Nouvelle-Écosse). Tous ces gens sont des syndicalistes militants. Habituellement, ils sont des néo-démocrates assez ardents. Beaucoup sont actifs dans des mouvements communautaires, féministes, gais, écologistes. Ils sont des gens de la base. Voici ce qu’ils m’ont dit. Je commence à l’océan Pacifique.

Vancouver

Pourquoi si peu de gens votent? « Parce qu’ils ne voient pas la différence que ça ferait, dit un travailleur qui n’a qu’une semaine à faire avant sa retraite. Ils disent: « Tous pareils. » Ou alors : « Ils feront ce qu’ils ont en tête, qu’on proteste ou non. » C’est ainsi que certains électeurs voient les choses. »

Sa femme, plus jeune, venait d’être mutée à Edmonton par CUPE. (Kioupi, la prononciation est importante, et je vais appeler tout ce monde les CUPE People.) Elle est chargée d’implanter des syndicats. « C’est pas facile. On a des gouvernements conservateurs autour de nous. Loin d’être pro-syndicaux, hein? Mais Edmonton, aujourd’hui, est représentée par plusieurs néo-démocrates à l’assemblée législative. »

Une Américaine devenue Canadienne, secrétaire dans une école : « Mon mari m’a amenée ici, mais il est mort maintenant, d’un cancer. Des parents, des amis, m’invitent à rentrer en Californie. Mais la première année que j’étais ici, une amie m’a appelée quand son mari est tombé et s’est cassé le cou. Elle a été reçue à l’hôpital sans qu’il soit question d’argent une seule fois. J’ai vu ça. Et ça m’a changée. » Un père de famille avec son épouse et leurs deux filles : « On vient d’être défait au provincial, c’était dur. Mais je pense que notre chef était un peu trop gagné à une campagne propre, rien de négatif dans le discours. Il ne pouvait pas répondre quand ses ennemis le salissait. Il s’est marginalisé. »

Grand Forks, B.C.

Betsy, une veuve qui est secrétaire d’école dans cette petite ville près des Rocheuses : « Moi je croyais à notre chef. C’était un bon gars. Mais les gens craignaient des hausses de taxes. Quand j’avais vingt ans, j’ai voté pour Pierre-Elliott Trudeau. J’avoue ce seul péché! Depuis, je suis une sociale-démocrate fidèle. »

Calgary, Alberta

« Ce que je veux que l’union fasse, c’est parler d’unité pas seulement à l’intérieur de CUPE, mais avec d’autres syndicats aussi. Des fronts communs. Ont-ils peur de faire ça? » Cet homme, je vais l’appeler Rolland, moustachu, col bleu pour la Ville de Calgary, est le seul CUPE Person qui ne m’a pas donné l’impression claire de ses préférences néo-démocrates. Sa femme et sa belle-fille étaient venues juste avant. Son épouse m’avait raconté un bout de son histoire à elle. « Je suis des peuples aborigènes, qu’elle a déclaré. Je suis Crie. Et ma fille, elle est entrée dans l’Aviation canadienne. Elle est basée à Trenton, en Ontario. Elle est pilote. »

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La Saskatchewan

Un premier couple; appelons la femme Greta, le gars John : « Nous sommes de Régina. Je suis originaire de Thunder Bay, en Ontario, mais après mon droit à l’Université de Toronto, j’ai eu une job de conseillère juridique pour CUPE, et ils m’ont envoyée en Saskatchewan. On a une grande tradition socialiste en Saskatchewan. Mais « The Saskatchewan Party » est apparu, et l’a knock-outé. Il y a une sorte de révolution néo-conservatrice en cours. Au début, le Saskatchewan Party avait un leader trop à droite. Il voulait privatiser tout, et le peuple a dit, « Mais on est fier de nos coops et de notre Wheat Pool ». Alors Calvert, le chef néo-démocrate, a pu le battre cette fois. Mais quand ils ont trouvé ce gars-ci, Monsieur Wall, il avait la modération nécessaire. Il a refusé de vendre l’entreprise d’état de potasse. Calvert s’est fané. Il était du NPD vieux genre, il était un peu un dinosaure. Et oui, les derniers NPDistes saskatchewanais à Ottawa, comme Dick Proctor, sont tombés. Des Conservateurs ont été élus. La gauche canadienne On a jasé du Québec… de stratégie… de justice sociale… « Ce que je veux : que l’union se fasse». « Je suis crie »

Est-ce qu’il faudrait un deal libéral-néo-démocrate pour déloger Harper? Peut-être. Peut-être un système proportionnel aiderait aussi. » (Ce couple est venu deux jours plus tard et a relancé la conversation. « Nous avons de la force dans les deux nations, dîtes-vous, pour la première fois dans l’histoire du Nouveau Parti Démocratique? Vous appelez le Québec une nation? Je sais que Harper a adopté cette idée. Mais vous pensez que c’est vrai? Vous nous en donnez de la matière à réflexion! On s’y mettra une fois rentrés chez nous! Vous dîtes que le NPD a adopté une Déclaration de Sherbrooke sur le droit du Québec à l’auto-détermination? Faudrait qu’on sorte ce texte du tiroir, qu’on le lise attentivement. C’est sûr que vous avez raison, notre succès au Québec est une occasion à saisir. ») Une heure après Greta et John, un autre duo est venu prendre un croissant. Deux collègues, pas un couple. Adele : « Je suis de l’équipe de CUPE, et je suis aussi conseillère municipale à Saskatoon. Je suis élue par un quartier de l’ouest de la ville, un quartier de travailleurs. Alors c’est naturel qu’une syndicaliste soit élue, tu dis? Ben, j’espère que c’est grâce à mes idées urbaines aussi! Nous avons un maire pro-business, il a besoin d’être critiqué. » Hugo : « Notre parti a changé profondément il y a deux ans? Vous avez peut-être raison. Peut-être qu’on ne s’est pas assez rendu compte. Parler avec vous me fait voir l’importance de l’élection de Mulcair comme chef. L’importance de tous ces députés québécois, Je vois ça plus clairement en parlant avec vous. » Hugo était le seul parmi eux qui avait des notions de français, et qui les utilisait. Je l’ai incité à mettre de la chair sur les os, de s’inscrire à un cours, et de venir en homme- de-liaison néo-démocrate d’ici la prochaine élection. « Je ferai peut-être ça. »

 

Winnipeg

La femme blonde aux formes rondes était assise seule. Le congrès était fini, je ne l’ai pas reconnue comme syndicaliste. « Je suis ici pour un congrès. » « CUPE? » « Oui! Je viens de Winnipeg, j’étais présidente du plus grand local au Manitoba. J’ai dû démissionner, m’occuper de ma mère, qui est malade, Mais je suis venue à Québec pour accompagner mon épouse. » J’ai quitté la table où j’étais assis avec mon ami Marc. Je me suis approché. « La justice sociale, c’est ça qui m’intéresse. Voilà pourquoi je suis néo-démocrate. C’est super de venir ici, de voir votre culture, j’aimerais apprendre le français. J’ai deux frères qui l’ont appris, ils sont à Montréal, ils ont épousé des filles francophones, Moi, j’ai aussi des enfants — trois. La plus jeune a 18 ans. » « Ah! Alors vous avez d’abord épousé un homme? Et plus récemment vous avez épousé une femme? » « C’est ça. C’est la personne qui compte, non? Pas le sexe de la personne. Mais je peux vous dire : c’est plus reposant d’être mariée avec une femme. »

L’Ontario

Un premier groupe de Windsor; le lendemain, un groupe d’Oakville, près de Toronto. Une des femmes, Linda, porte un coupe- vent brodé LES COMMISSIONS SCOLAIRES NE PEUVENT PAS MARCHER SANS NOUS : « Moi je vois le NPD comme le parti du peuple. Harper, il prend des décisions, il change le pays, c’est toujours pour les corporations, toujours pour les riches. » Une de ses consoeurs, Carol : « Je vais vous dire ce que je n’arrive pas à comprendre. Je suis une femme. On a eu un combat pour avoir le droit de voter. On l’a eu en 1917, ou plus tard dans certaines places, Et maintenant il y a des gens, des femmes, qui ne prennent pas la peine de voter, J’suis pas capable de comprendre ça. »

La Nouvelle-Écosse

Mes seules Maritimers. Maggie et sa fille Christina, de Glace Bay, légendaire ville ouvrière sur l’île du Cap-Breton. Elles étaient là à la toute fin, samedi soir. Elles restaient, pour découvrir Québec. Maggie : « Notre parti vient de perdre le pouvoir à notre élection provinciale. C’est dur. Mais les gens craignaient des hausses d’impôt, je pense. »

J’ai essayé de lui dire combien l’Île du Cap-Breton était légendaire pour moi. « Je suis influencé par un roman. L’avez-vous lu? Fall on your Knees, de Anne-Marie Macdonald? Ou en français, Un parfum de cèdre? Glace Bay et ses mineurs sont là-dedans! Quand ils ont annoncé le Prix Nobel, j’ai crié, Ç’aurait dû être Anne-Marie Macdonald! » « Oui, je l’ai lu. Mais c’est beau qu’Alice l’ait eu, le Prix Nobel, quand même » répondit Maggie. La grande question de ce mouvement, je dirais, c’est de trouver comment coudre ensemble les deux moitiés du mouvement. La moitié canadienne-anglaise, vieille de 50 ans (de 70 ans, si on compte la période CCF), et la moitié québécoise, toute neuve. Il m’était un peu difficile de trouver les mots pour poser cette question aux CUPE People. Ce sont des gens qui peuvent pressentir cette tâche un peu, mais ils ne savent pas comment s’y prendre. Ironie, le seul groupe de leur syndicat qui était froid envers le NPD, c‘était les Québécois francophones. J’ai parlé brièvement en français avec un groupe en santé-et-sécurité-au-travail; ils étaient des SCFP solides, mais ils semblaient peu enclins à troquer leur élan bloquiste et péquiste pour une forme NPDiste, même pas celui qui m’a dit : « L’esprit social-démocrate québécois est là, il prend diverses formes. » Il y a maintenant le courant Québec Solidaire aussi, qui ressemble beaucoup au NPD. Avec la plume indépendantiste ajoutée. Si QS et le NPD décidaient d’avoir une tolérance l’un envers l’autre, si le NPD développait sa version du nationalisme québécois, j’ai l’impression que plusieurs mettraient l’une des cartes de membre dans la poche de la blouse, et l’autre dans la poche des jeans.

 

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Les 59 députés néo-démocrates québécois ne sont pas des sujets de portraits dans Le Devoir, ils ne sont pas souvent invités dans les panels de Radio-Canada, à Télé-Québec. ( J’ai trouvé un seul média pour observer leur travail, le canal parlementaire CPAC, 174 et 175 sur le câble.) C’est comme si aucun coin du territoire de la gauche au Québec n’était occupé par eux. Je ne suis pas actif dans le NPD moimême, je n’ai pas le rapprochement des deux moitiés sur mes épaules à moi. Mais j’aimerais voir la nouvelle pensée néodémocrate entrer dans le débat social. J‘aimerais la voir contrainte de développer ses idées sur les Deux Nations. Le mariage de la gauche à l’idée indépendantiste est une longue tradition. Mais le peuple, en mai 2011, a pensé autrement. À cause de la verve de Jack Layton? C’est certain. Mais peut-être aussi à cause du passé progressiste du parti? De l’impopularité de Michael Ignatieff? De la fatigue du Bloc? Du grand conservatisme de Stephen Harper? Tout ça a joué.

Justin Trudeau redonne de l’espoir aux Libéraux. Mais la pensée néo-démocrate est là maintenant. La carte de mai 2011 — la pensée néo-démocrate tient cette carte dans ses mains. C’est une carte puissante si le mouvement arrive à se coudre ensemble. Et la justice sociale est une valeur qui est présente dans les deux nations. Les CUPE People que j’ai rencontrés la semaine dernière au Panetier ne comprennent pas beaucoup le Québec. Mais ils comprennent ça.

 

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