Rêver une ville plus verte

Sophie Lavoie
Publié le 17 juin 2021
Une jeune femme arrose des fleurs dans Saint-Sauveur. Photo: DDP

J’ai toujours adoré la ville. Son bruit, sa vie nocturne, ses habitants marginaux, son ivresse et son dynamisme.

En vieillissant, mes sentiments changent à l’égard de la vie urbaine et de la manière dont nous l’habitons. Avec la pandémie, l’inébranlable urbaine que je suis, a pris conscience du territoire majestueux qui occupe de façon bien plus imposante le territoire de ma province, que la ville où j’habite. Et tout ce que je peux en connaître, c’est la façon dont politiciens et entrepreneurs conçoivent ce territoire comme des ressources économiques qui permettront au Québec de « se mettre su’a map » avec ce fameux Plan Nord repris par tous les gouvernements depuis Charest, à leur propre sauce.

Quand tu as passé ta vie à l’intérieur d’un périmètre délimité par des autoroutes, symbole même de notre civilisation, ce jargon d’hommes économiques ne signifie que peu de choses, mais semble à priori vendeur. Une nation qui est née colon, mourra colon.

Je ne comprends plus ce qui me fait autant vibrer en ville lorsque j’explore ce territoire si beau qui nous entoure. Toute la grandeur qui occupe notre belle province est si majestueuse et riche, que j’entre en ville avec le sentiment de me trouver profondément insignifiante et imposteure.

La vérité, c’est que la ville me dégoûte de plus en plus. Elle me donne envie de hurler, de frapper vos machines et d’en utiliser une moi-même pour décimenter cet univers artificiel que nous avons créé. Mon cœur semble vouloir déborder à tout moment, alors qu’une voiture me frôle, me rappelant que je ne suis pas chez nous, mais sur les routes gracieusement payées par des contribuables, qui ne se demandent même plus à quoi servent ces longues semaines de labeur, vides de sens, à travailler et à oublier de respirer et de rire : il faut bien bétonner, asphalter, recouvrir, aplatir et uniformiser ce territoire que nous voulons à tout prix contrôler et dominer. Une fois l’hiver venu, nous devons à tout prix pelleter toute cette neige blanche en avant et la souiller, afin que nos machines puissent circuler librement dans leur empire de béton.

Je rêve d’une ville où les rires des enfants qui jouent dans ma cour arrière, qui me berce alors que je tente d’échapper à ce monde et d’entrer dans la douce imagination de mes petits voisins, ne seront plus interrompus par un moteur qui passe ou une voiture qui vient se garer, retirant ainsi tout l’espace nécessaire à la poursuite de ces histoires imaginaires.

Je rêve de marches urbaines ensevelies par la nature du territoire québécois. Des arbres à n’en plus finir, des bâtisses fédérales recouvertes par du lichen, de la mousse et un sol épais nourri par les pleurs des épinettes et des érables. Dans mes rêves, les cours d’écoles deviendraient des jungles, à l’image de cette forêt boréale qui nous entoure. Les rues piétonnes n’existeraient plus puisqu’elles seraient la norme. On croiserait de temps en temps des « rues pour voitures », mais elles ne seraient là que pour de petites questions logistiques. La ville deviendrait moins sale et plus lente. Face à cette lenteur, nous travaillerions peut-être moins et nous nous amuserions sans doute plus. De toute manière, ce riche écosystème urbain aurait besoin de petites mains pour l’entretenir. Face à la richesse du sol, les jardins communautaires deviendraient l’activité nationale et l’étiquette « produits du terroir » perdrait son sens. Les allées des commerces seraient remplies de produits conçus ici, sur les rues même où jadis circulaient des milliers de gros moteurs qui empêchaient toute forme de vie végétale et humaine de s’épanouir à leur plein potentiel.

Je me perds dans mes rêveries, qui, je vous l’entends dire, sont des utopies irréalistes de jeune femme gauchiste irrationnelle. De toute façon, la raison n’est pas verte et touffue ; elle est grise et droite, à l’image du monde moderne. J’espère tout de même pouvoir laisser aux générations futures et à mes enfants une ville soutenable et harmonieuse, puisque le modèle que je vois sous mes yeux ne semble pas pouvoir tenir à long terme.

À tous mes concitoyens urbains, je voulais surtout vous souhaiter un été doux et pas trop chaud alors que nous croupissons autour du béton. Un été tranquille aussi, puisque l’année que nous venons de vivre a été stressante et agitée. Je nous invite à revendiquer et à exiger toujours plus de rues piétonnes et partagées, à refuser toute nouvelle construction grise et sale du XXe siècle et à rappeler aux politiciens que le droit au parking doit venir loin derrière le droit de profiter de la nature à l’intérieur même de nos quartiers et de toute la richesse qu’elle a à nous offrir. Et devant la lenteur des décideurs et conseillers municipaux à verdir nos quartiers, réunissons-nous entre voisin et aménageons nous-mêmes de jolies espaces verts temporaires, où les enfants peuvent jouer, les adultes se reposer et les ainé.e.s, nous raconter leur savoir. Nous avons de toute façon déjà commencé.

Commentaires

  1. Cet article m’a ému aux larmes, j’aimerais avoir le contact de la personne qui l’a écrit pour lui dire ma reconnaissance 🙂
    Merci et bonne journée !!

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