Droit de manifester au Québec: les règlements municipaux sous la loupe

Par W. Stuart Edwards
Publié le 26 février 2020
Marie-Ève Duchescne, Lucie Lemonde, Enrico Théberge, et Lynda Forgues discutent règlements municipaux lors du forum organisé par la Ligue des droits et libertés. Photo: LDL

Une vingtaine de personnes ont assisté le 24 février dernier au lancement du guide « Le droit de manifester au Québec : les règlements municipaux sous la loupe! ».

Organisé par la Ligue des droits et libertés, l’événement, qui s’est tenu à l’Université Laval, visait à faire le tour des restrictions en vigueur dans plusieurs municipalités de la province quant au droit de manifester.

Les principaux enjeux

Lucie Lemonde, l’auteure principale du rapport, a énuméré les règlements les plus préoccupants entourant les manifestations :obligation d’obtenir une permission au préalable et de fournir le trajet; interdiction de gêner la circulation; obligation de marcher sur le trottoir; ne pas faire de bruit; ne pas tenir de propos injurieux ou violents; ne pas participer à une manifestation où il y a des actes de violence; interdiction du port de masque; interdiction de faire de l’affichage; obligation de détenir une assurance responsabilité.

Elle estime que ces règlements ne sont que des prétextes pour réprimer certaines manifestations, alors que d’autres sont tolérées, même si les exigences ne sont pas toutes respectées.

Ici à Québec, les contestations devant les tribunaux ont calmé les policiers : aucune arrestation de masse n’a eu lieu depuis 2015.

Traiter les manifestants de criminels

Me Enrico Théberge a parlé de la portée très large du jugement de la Cour d’appel, qui a invalidé l’article 19.2 du Règlement sur la paix et le bon ordre.

Il a également décrit le comportement des policiers comme une tentative de traiter les manifestants comme des criminels, notamment en les menottant et en les détenant dans les fourgonnettes cellulaires. Il qualifie de kafkaïens certains témoignages de policiers devant les tribunaux. Il conclut que la contestation judiciaire est nécessaire, sinon il y aura davantage de répression.

 

L’expérience des groupes communautaires de Québec

Marie-Ève Duchesne, du Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, a fait le topo de l’histoire du militantisme dans le quartier. Après l’adoption de l’article 19.2 en 2012, l’enjeu de l’itinéraire a pris beaucoup de place dans les débats entre groupes communautaires. Il y avait un climat de peur, et une tension s’était créée entre les « bons » et les « mauvais » manifestants.

Même si le trajet est donné, la police ne l’accepte pas toujours. Pour une manifestation le 6 avril 2014, le SPVQ avait ordonné un changement du trajet, et pour une manifestation le 30 septembre 2016, le trajet avait été carrément refusé.

Pour éviter les complications liées à la question de l’itinéraire, certains groupes avaient décidé d’opter pour d’autres actions. Ils privilégiaient les occupations au lieu de marcher dans la rue, entre autres.

Pour Marie-Ève Duchesne, la répression continue. Le traitement par la police varie selon qui organise une manifestation, et les agents remettent des constats d’infraction« ciblés » à certains individus à cause de leur militantisme.

Criminalisation policière, judiciaire et médiatique

Lynda Forgues, ancienne journaliste du Droit de parole, a abordé la question de la criminalisation.

Même si la criminalité et en baisse à Québec, la police a toujours de plus en plus d’armes, de véhicules blindés et d’équipement militaire. La police plaide que c’est pour protéger les citoyens. Mais dans une manifestation, les policiers exigent une collaboration continuelle des manifestants, tout au long du trajet, ce qui les place dans une situation de supériorité et de contrôle des participants, et non dans une relation de collaboration réelle. Elle a aussi parlé de la couverture médiatique. Les grands médias sont toujours là lors des arrestations et accusations, mais quand les accusations tombent six mois plus tard, c’est le silence. Ils ne parlent jamais de l’injustice des promesses à comparaitre, avec conditions restrictives de libération, pour des accusations criminelles qui s’avèrent non fondées.

Elle dit que la bataille devant les tribunaux est difficile, mais nécessaire.

Répression inconstitutionnelle à Rouyn-Noranda

Dans le rapport, la Ville de Rouyn-Noranda est particulièrement montrée du doigt.

D’abord, il a été très difficile d’obtenir des informations auprès de la municipalité. Les dispositions sont éparpillées à travers de multiples règlements et directives. Il y a une incohérence entre le site Web, les formulaires, les directives et les règlements de la Ville.

La répression est toutefois très claire. Il est interdit de participer à une manifestation politique qui n’a pas été autorisée par la Sûreté du Québec, le maire ou le directeur général de la Ville. La demande d’autorisation doit être acheminée au moins deux jours avant la manifestation, et les autorités peuvent la refuser.

Le port de masque est interdit. Il y a interdiction de faire du bruit ou de l’affichage : « L’affichage de tout événement relié à une activité politique n’est pas autorisé.»

Et il y a une obligation de posséder une assurance responsabilité ayant une couverture d’au moins 2 millions de dollars pour «des événements à risque» sans préciser davantage. Cette disposition rend les manifestations impossibles pour plusieurs groupes, car même s’ils acceptaient de payer les primes, les compagnies d’assurance refusent tout simplement de couvrir les manifestations.

De l’avis du rapport, ces règles répressives sont inconstitutionnelles. Elles existent à Rouyn-Noranda parce qu’il n’y a pas de contestation devant les tribunaux.

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