Lettre de Luc Archambault au ministre de la Sécurité publique

Publié le 7 décembre 2017
Luc Archambault lors de la vigile du 2 décembre. Photo: Réal Michaud
Lors de la manifestation du 25 novembre dernier, quarante-cinq personnes ont été arrêtées. L’artiste Luc Archambault se trouvait devant l’Assemblée nationale pour sa vigile hebdomadaire lorsqu’il a été arrêté. Droit de parole publie la lettre qu’il a fait parvenir au ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, pour dénoncer son arrestation.

Non monsieur Coiteux, le travail des policiers fut loin d’être exemplaire, adéquat et mesuré ! Le travail des policiers est loin d’être exemplaire quand des rafles policières sont organisées à l’aveugle sans s’assurer que les forces de l’ordre en cause agissent avec mesure et discernement. Et à coup sûr, l’intervention policière du samedi 25 novembre débutant vers 14h05 sur la Place de la Fontaine de Tourny, parvis de l’Assemblée nationale du Québec, haut lieu de la démocratie québécoise, n’était ni mesurée ni menée avec discernement.

En effet, j’ai été arrêté, menotté les mains dans le dos, séquestré pendant quatre heures trente, sous prétexte de me trouver dans le périmètre d’intervention de la rafle policière menée contre des manifestant.e.s pacifiques dont je ne faisais pas partie même si je me trouvais sur le Parvis de l’Assemblée nationale pour participer à la 351e édition de l’Opération Vigile du samedi pour la démocratie, comme tous les samedis à 14h depuis le 19 février 2011.

La police de Québec ne peut pas ne pas savoir qu’une telle Vigile se tient sur le haut lieu de la démocratie québécoise tous les samedis à 14h… Elle aurait dû faire la part des choses. Elle ne l’a pas fait. L’opération de « répression policière » été menée ni de manière adéquate ni de manière mesurée. Quelque chose ne fonctionne pas, n’a pas fonctionné. Il vous faut corriger le tir dans les meilleurs délais et réparer les dommages causés.

Et… il se trouve que je ne suis pas le seul à avoir subi le même sort injuste et injustifié. Gisèle Gingras, une femme de soixante-cinq ans qui était avec moi a été menottée pareillement les mains dans le dos et fut jetée sans ménagement par terre par un molosse armé (ce n’était pas un manifestant) et elle a été forcée malgré ses protestations de se tenir couchée dans la neige mouillée gelée pendant au moins quinze minutes (il pleuvait par une température d’à peine 3°C). Pareillement pour un journaliste de 99% média qui portait autour du cou sa carte de presse.

Pareillement encore pour un observateur qui prenait des photos sur place, mais qui n’était pas mêlé aux manifestant.e.s, ni des nôtres. Par contre, Stuart Edward qui était aussi avec moi, à moins de deux mètres, n’a cette fois pas été inquiété.

Des forces policières aveugles et sourdes

Il y a manifestement usage de pratiques parfaitement aveugles, aléatoires et arbitraires qui n’ont pas leur place dans un État de droit démocratique. Ce qui est tout sauf caractéristique de la mesure et du discernement comme vous le prétendez, probablement faute d’information adéquate. Là encore, votre police politique a fauté.

J’ai eu beau protester et demander de parler à un supérieur hiérarchique pour dénoncer la méprise, à savoir le responsable des manifestations, à la SPVQ le Lieutenant Richard Hamel (Module Planification et Gestion opérationnelle), que je connais et qui me connait, et que des officiers sur place connaissaient… Pas question m’a-t-il été répondu par tous les intervenant.e.s sur place et tout du long de la procédure, jusqu’à ce que je sois entendu après quatre heures trente de séquestration injustifiée par deux personnes chargées d’enquête.

Ce n’est pas « admirable » dans une société démocratique que des citoyen.nes soient susceptibles sans raison et à tout moment, d’être ainsi maltraité.espar les forces de police du Québec. Je n’étais pas « au mauvais endroit au mauvais moment » comme il m’a été répondu comme si l’action policière était une catastrophe naturelle sur laquelle personne n’a de prise. On se trouve au mauvais endroit au mauvais moment quand on est victime d’un accident, mais on ne l’est pas quand la police déploie une opération policière. Du moins pas dans un pays civilisé. On doit pouvoir avoir l’assurance d’être traité de manière juste et équitable avec mesure et discernement. Ce ne fut pas le cas.

Dans un pays démocratique civilisé quand la police déploie sa force de frappe d’une extrême violence armée, les autorités gouvernementales et policières canadiennes, québécoises et municipales doivent s’assurer que les intervenant.es ayant droit d’agir au nom de l’État, agissent effectivement sur place avec mesure et discernement, non pas de manière sourde et aveugle comme ce fut le cas récemment et aujourd’hui, et ce, malgré nos justes représentations, demandes et déclarations.

Une culture d’abus policiers systémiques

Ce n’est pas la première fois qu’une telle chose survient dans ce type d’arrestation sous rafle de masse. Stuart Edwards (soixante-quatre ans), est encore aux prises avec des accusations du même genre lorsqu’il ne manifestait pas, ayant eu le malheur de croiser un groupe de manifestant. es alors qu’il traversait ce qui s’appelait, à l’époque en 2015, la rue Saint-Amable (aujourd’hui Jacques Parizeau), pour se rendre tout simplement chez lui après avoir traversé le Parc de l’Amérique française. Encore là, ses justes protestations n’ont pas été entendues, ni au moment des faits ni par la suite. Ce qui est inadmissible.

Voilà que, deux ans plus tard, je suis pareillement victime du même rouleau compresseur policier sans voir surgir quelques mesure et discernement que ce soit dans l’action des policiers. Je suis, comme d’autres, arrêté, séquestré, menacé d’accusation criminelle sans raison.

Or, si la tendance se maintient, si vous n’agissez pas, si les corps policiers n’agissent pas pour concevoir et implanter un modus operandi différent de celui qui a cours aujourd’hui et qui rendrait possible l’effectivité du plus élémentaire des discernements et de la plus élémentaire des mesures (à savoir, s’assurer d’arrêter et de séquestrer que les personnes ayant effectivement commis un acte criminel), d’autres personnes se trouveront encore et encore victimes d’actions policières que vous continuerez à louanger contre la plus élémentaire des intelligences, celle des faits.

Excuses et réparations

Je demande excuses et réparations pour le tort qui m’a été causé et pour les dommages afférents, dont la privation de mes droits civils pendant quatre heures trente, dont la séquestration parfaitement injustifiée, dont des marques aux poignets et autres maux d’épaules et de dos, en espérant que le syndrome du canal carpien dont je souffre ne fera pas à nouveau des siennes, comme ce fut le cas d’un ami qui a été menotté dernièrement il y a environ six mois, et dont le pouce commence à peine à cesser d’être engourdi.

Je vous demande de me consulter pour prendre en considération mes suggestions de modification des usages policiers en pareil cas de rafle de masse. Pour s’assurer qu’aucun.e citoyen.ne se soit ainsi maltraité.e, privé.e de ses droits, blessé.e dans sa chair, et maintenu.e pendant deux heures et plus dans une cellule glaciale parce que l’on a intentionnellement refusé de fermer deux deux fenêtres du corridor donnant sur l’extérieur et refusé de donner des couvertures malgré des demandes répétées.

Modus operandi conséquent

Pour ce faire, suffit de donner la consigne à vos gens afin qu’il soit garanti de pouvoir avoir accès sur place et sans délai à un supérieur hiérarchique ayant l’autorité de libérer sur-le-champ, in situ et in vivo, toute personne n’étant pas visée par l’action policière en cause et se trouvant soi-disant « au mauvais endroit au mauvais moment », et ce pour qu’on puisse enfin louanger de manière fondée le travail des policiers. Ce qui n’est pas possible actuellement.

Le travail des policiers n’a pas été exemplaire parce que le modus operandi actuel ne permet pas aux intervenant.es sur place d’agir avec discernement et mesure. Leurs ordres étant d’arrêter les personnes présentes, peu importe leur réelle implication dans ce qui est reproché aux personnes interpellées. Les intervenant.es sur place, malgré leur évidente bonne volonté, ne peuvent se tourner vers quelqu’un pour agir avec mesure et discernement sans désobéir aux ordres.

Comme rien n’est fait depuis 2015 pour corriger les choses, il en va de ce manque de mesure et de discernement policier comme du reste. On est en droit donc de se demander sérieusement à quoi servent ces rafles de masse systémiques qui privent sans motifs raisonnables des citoyens.nes dont le seul tort est d’exercer pacifiquement leurs droits constitutionnels démocratiques de manifester et d’exprimer leurs opinions en tout bien tout honneur dans l’espace public démocratique qui est le nôtre, ou du moins qui doit être le nôtre. Je ne parle ici pas de moi, mais de personnes interpellées et séquestrées comme moi, sans raison valable.

Abandon des accusations des victimes de la rafle de la Place de Fontaine de Tourny

Étant donné la bavure manifeste dont a été empreinte cette opération policière sauvage, je demande l’abandon des procédures pour toutes les personnes victimes d’accusations criminelles en vertu des lois canadiennes actuelles arrêtées en même temps que moi. En effet, on n’a pas invoqué cette fois les articles des lois municipales, mais la participation à une émeute… (ou tout comme, vous me corrigerez) de graves accusations criminelles donc, non fondée d’après mes observations sur place. Et si le but est de tester l’accusation criminelle en cause, que l’État le fasse sans pour autant incriminer des manifestant.es qui manifestement ne faisaient qu’user de leurs droits constitutionnels, en tout bien tout honneur.

Si le but est d’arrêter les casseurs, les agresseurs qui ont blessé plusieurs personnes dernièrement, alors qu’on prenne les bons moyens pour le faire… non pas sévir à l’aveugle en brutes sauvages dépourvues de toute mesure et de tout discernement. Merci pour votre généreuse attention en espérant obtenir réponse satisfaisante dans les meilleurs délais.

Luc Archambault, artiste et citoyen

St-Étienne-de-Lauzon

Commentaires

  1. Le Québec est en train de dégénérer en un état policier. Nous croyons vivre en démocratie, alors que dans les faits nous évoluons vers une kleptocratie: ce sont les plus fourbes et les plus cupides qui tirent les ficelles du pouvoir. Cette lettre en appelle au sens de l’honneur et du bien commun d’un ministre responsable de la sécurité publique, face à des abus arbitraires des policiers sensés être des gardiens de la paix. Il est d’intérêt public de dénoncer la déliquescence sociopolitique des gouvernants commandités par les industries privées et les financiers néolibéraux.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité