25e anniversaire de l'îlot Fleurie: Le prolongement poétique et culturel d'une lutte urbaine

Publié le 10 mars 2016
Sous les bretelles, au Sommet des Amériques en 2001. Photo: Marc Boutin
Sous les bretelles, au Sommet des Amériques en 2001. Photo: Marc Boutin

Par Marc Boutin

Le 19 février dernier, à la librairie Saint-Jean-Baptiste, les poètes Hélène Matte et Jean Dorval ont commémoré le 25e anniversaire du projet de l’Îlot Fleurie. Au programme, des poèmes et une vidéo, Indocile fantaisie, sur la lutte des artistes du centre-ville qui, dans les années 1990, se sont battus pour poétiser, animer et verdir les terrains vagues de l’ancien quartier chinois de Saint-Roch.

Retour sur l’histoire de l’îlot Fleurie

C’est vers les années 1970, avec la lutte acharnée qu’a mené pendant près de dix ans le Comité des citoyens de l’Aire-10 (Saint-Roch) pour sauver le quartier chinois, que naît l’esprit de l’Îlot Fleurie. L’Îlot Fleurie proprement dit n’était à l’époque qu’un îlot parmi d’autres. L’objectif du Comité était de conserver tous les îlots du quartier chinois, un quartier vivant, original et apprécié des noctambules (ce qui fut perdu), mais aussi d’empêcher qu’une autoroute passe à travers la Basse-ville (ce qui fut gagné).

Les Chinois du quartier venaient de l’île de Formose (TaIwan) et pour la plupart étaient des partisans de Tchang Kaï-chek (du Kuomintang, parti pro-occidental). Méfiants envers les militants « maoïstes » du comité des citoyens, ils hésitaient à s’engager ouvertement pour la sauvegarde de leur propre quartier.

Plywood cité

Qu’à cela ne tienne, la lutte fut menée, maison par maison, tout au long de la décennie 1970, tant et si bien qu’en 1980, on se retrouve avec un miracle. Le quartier chinois est anéanti, mais un petit îlot (entouré des rues Fleurie, Saint-Vallier, de la Chapelle et du Carré Lépine) a survécu et il bloque l’emprise de l’autoroute.

Bonne nouvelle : en 1980, l’État n’a plus d’argent pour construire des autoroutes et le projet de boulevard de la Falaise est abandonné. Alors commence à Saint-Roch la période glauque du contreplaquage (1980- 90). Tout le sud du quartier, de la Falaise au boulevard Charest, de la rue de la Couronne jusqu’aux piliers de l’autoroute Dufferin, est devenu un immense terrain vague, ceinturé de maisons laissées à l’abandon, sauf pour l’Îlot Fleurie, situé au beau milieu du désastre, où habite un sculpteur, Louis Fortier.

De la lutte urbaine à la poésie

Vers la fin des années 1980, Louis Fortier décide de planter une fleur sur un des terrains vagues. À côté, il place une sculpture. Et ainsi débute une des périodes les plus glorieuses dans la vie artistique de la ville de Québec, celle de l’émergence d’un mouvement culturel assumé non pas par l’élite, mais par le vrai peuple. En fait, c’était un vaste squattage écolo-punk, poético-populaire et anarcho-clochard à ciel ouvert où le roi et maître des lieux devient « l’inconnu des villes », selon l’expression du poète Jean Dorval. En géographie structurale, on pourrait parler d’un phénomène d’ordre anthropologique, soit une éclosion spectaculaire de la « ville érotique » (de éros = amour, d’où amour de la ville).

Apparaissent au bord de la falaise, dans une surprenante discipline spatiale, des sculptures géantes, des jardins communautaires, des jeux de pétanques, des lieux de pique-nique, des potagers, une patinoire l’hiver, des soupes populaires, un terrain de jeux, etc. On organise des spectacles tous plus flyés les uns que les autres et les décombres du quartier chinois font place à d’indociles fantaisies et à des expériences inhabituelles. C’est comme si le peuple lui-même — tout le monde — devenait artiste.

Sous les bretelles

Changements pendant la décennie 1990. La Ville veut récupérer le côté jardin du mouvement et propose pour Saint-Roch un parc monumental entouré d’édifices administratifs et résidentiels. Les militants de l’Îlot Fleurie résistent un temps mais doivent accepter un compromis: s’installer sous les bretelles de l’autoroute Dufferin-Montmorency.

Sur les lieux, l’esprit de l’Îlot Fleurie continue à se développer jusqu’en 2005. L’endroit se transforme en véritable laboratoire culturel : soirées de poésie, orgie de grafittage sur les piliers, nuits des sans-abris, soirées de lutte, performances organisées par le centre d’artistes Inter-le Lieu, ateliers de création en sculpture, etc., et ce, en passant par le grand rassemblement du Sommet des Amériques, en 2001, avec plus 460 arrestations.

Avec le XXIe siècle, peu à peu, l’étau se resserre sur l’aventure de l’Îlot Fleurie. Le Ministère des transport et la police préfèrent qu’il ne se passe rien sous les bretelles et à partir de 2006, la Ville décide de ne plus respecter un protocole d’entente qui assurait le financement de plusieurs activités. C’est le début de la fin. L’État a toujours eu peur de la « ville érotique », surtout quand la révolte y gronde.

Pour en savoir plus : – Le site « Saint-Roch, une histoire populaire ». – Le vidéo «Indocile fantaisie ». – Jean Dorval, La trilogie Échiquéenne, Éditions David, 2004.

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