Rapport Payette sur les médias de Québec : la fin du silence ?

Publié le 12 novembre 2015

Par Nathalie Côté

LOGO POUBELLECe n’est pas seulement parce que le rapport Payette recommande que les médias communautaires soient mieux financés qu’on peut se réjouir de sa publication, mais peut-être parce que dorénavant, la critique des propos des animateurs de Radio X et Cie pourra se faire plus facilement, au grand jour.

Le rapport de 60 pages (disponible sur le web, lisez-le!), dresse un état de la situation à Québec. Il trace un portrait quantitatif des médias dans la région, journaux, télés, radios, en mettant en perspective le développement des «radios parlées», une traduction des Talk Radios américaines, avec lesquelles les Radio X de ce monde partagent plusieurs caractéristiques. Le rapport souligne que les radios parlées de Québec (Radio X, FM 93, NRJ) privilégient les idées conservatrices et l’entreprise privée, «en s’attaquant à l’impôt sur le revenu et aux services publics».

Il n’y a pas de «mystère Québec»

Aux États-Unis, où ces radios sont nombreuses, leurs animateurs défendent les valeurs du Tea Party et du parti Républicain; ici, ils défendent celles des la CAQ et même du parti conservateur du Québec, et celles du parti libéral de Couillard, qui veut diminuer le rôle de l’État québécois. Sans parler des valeurs de l’Équipe Labeaume qu’ils ont participé à faire élire. Comme le rappelle Dominique Payette, Québec n’est pas le seul endroit dans cette situation. En plus des États-Unis, ce genre de radio sévit aussi en Australie. Elles ont le même discours misogyne, homophobe, raciste, les mêmes hargnes contre les intellectuels, les artistes et les étudiants qu’elles décrivent comme des parasites. En Australie, elles en ont contre le parti travailliste, aux États-Unis, contre les démocrates, Obama, Clinton; ici, elles en ont contre le PQ et QS.

L’homme en colère

Le rapport souligne, avec pertinence, le niveau de violence verbale de certaines radios, «qui ne serait pas toléré ailleurs dans la société». Dominique Payette se réfère à l’essai du sociologue américain Michael Kimmel, Angry White Men, dans lequel il décrit le noyau des auditeurs des Talk Radios comme des hommes blancs en colère chez qui la colère est bien réelle, qui ne s’en prennent pas aux causes de leur misère, mais à ceux qui sont juste en dessous d’eux dans l’échelle sociale. Cet homme blanc est en furie parce qu’il sent qu’il perdrait ses privilèges avec les revendications des femmes, des minorités, etc. Comme l’automobiliste est en furie sur l’autoroute parce qu’une voie est réservée au transport collectif. Mais, pourrait-on ajouter, il y a d’autres solutions pour rendre plus heureux cet homme en colère que de l’inciter à taper sur son prochain. Un meilleur partage de la richesse, plus d’éducation, moins de consommation. Que sais-je encore? Plus de liberté! Ce que demandent justement les gauchistes et les syndicalistes.

La haine des gauchistes comme des cyclistes

Les animateurs de ces radios dénigrent, comme on le sait, les féministes, les cyclistes, les environnementalistes, les plus pauvres. : la liste est longue de ceux et celles qu’ils opposent aux «payeurs de taxes». Dominique Payette rappelle quelques dérives auxquelles ont mené des propos d’animateurs de radios ces dernières années. C’est de cela qu’elle parle lorsqu’elle évoque la «terreur» qu’ils imposent à Québec. Notamment, le feu au campement d’Occupons Québec en 2011, allumé peu de temps après que les animateurs de Radio X aient suggéré de mettre un terme à ce camp de «pouilleux profiteurs du système» qui dénonçaient, rappelons-le, la concentration de la richesse entre les mains de 1% de la population. Dominique Payette rappelle aussi l’épisode navrant où les animateurs invitaient leurs auditeurs automobilistes à narguer les bus sur les voies partagées ou à intimider les cyclistes à Québec.

Et ça continue

Le 2 novembre dernier, pendant les deux jours de grève des organismes communautaires contre l’austérité, les animateurs de Radio X ont tenté de discréditer le mouvement en faisant le procès en ondes d’un travailleur du communautaire, l’accusant de sympathie avec les idées anarchistes, voire avec des «casseurs», tentant ainsi de discréditer les actions d’éclat des groupes communautaires qui demandent un meilleur financement de leurs activités.

Occuper l’espace médiatique autrement

Même si ce rapport a certainement des failles et que certaines recommandations ont été abondamment critiquées, notamment l’obligation pour tous les médias de faire partie du Conseil de presse, qui est apparue à plusieurs comme une tentative de restreindre la liberté d’expression, la proposition de soutenir les médias communautaires pour faire face à l’offensive des radios et développer la diversité des points de vue est des plus intéressantes. En effet, en conclusion, Dominique Payette, qui voudrait voir des médias de gauche rayonner davantage à Québec, propose: «Que soient soutenus les médias communautaires d’une manière beaucoup plus importante — incluant des programmes financés de formation, de professionnalisation— et en respectant le décret gouvernemental, adopté en 1995, qui incite les ministères et organismes gouvernementaux à investir un minimum de 4 % de leur budget en placements publicitaires dans les médias communautaires. Un objectif qui n’a toujours pas été atteint.»

Des organisations passent à l’action

Formée il y a quelques années, une coalition d’individus, Sortons les poubelles, dénonce les dérives des radios parlées de Québec. Elle utilise un site où sont publiés leurs propos et des invitations à faire des plaintes officielles et à sensibiliser les annonceurs. Elle agit de façon anonyme pour ne pas s’attirer les attaques personnelles sur les ondes ou des mises en demeure, une des tactiques classiques de ces entreprises, à laquelle Droit de parole a déjà gouté dans le passé. La Coalition pour la justice sociale a aussi rendu publique une pétition revendiquant des ondes de radios saines. Des pages Facebook anonymes, Québec s’excuse pour la radio poubelle, et Sortons les poubelles, continuent d’exister.

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