Renauderie. Le restaurant libanais

Publié le 4 décembre 2014

Par Renaud Pilote

L’autre soir, j’étais inconfortablement assis au libanais du coin et lisais le Journal de Québec, un shawarma pita à la main. Apprenant que la menace terroriste était désormais partout, je devins soudain piteux et perdis l’appétit. Alarmée, mon attention s’accrocha alors à ce qui m’entourait. Le lieu m’apparut glauque, quoique coloré; citronné, certes, mais néanmoins insalubre : j’espérais seulement ne pas avoir à aller aux toilettes avant mon départ.

Assis sur un tabouret derrière le comptoir, le jeune qui avait découpé ma portion d’agneau s’affairait sans trop d’enthousiasme à répondre à un texto. Lui et moi étions seuls dans le resto, quoiqu’une télévision ouverte dans l’arrière-boutique me laissait supposer la présence d’un téléspectateur tapi dans l’ombre.

La musique, qui cherchait probablement à nous ouvrir les portes de l’orient, ne parvenait qu’à masquer un peu le couinement de la broche rotative entourée d’éléments chauffants. En soi, rien de tout cela ne m’inquiétait : je venais ici souvent et l’ensemble correspondait grosso modo au monde tel que je le connaissais avant. Avant. « Eh puis non ! » me dis-je, « Je ne me laisserai pas intimider par les médias »… je repris ainsi courage et avalai une autre bouchée : cette mayonnaise à l’ail avait toujours eu le don de me revigorer l’âme.

Soudain, une femme portant le hijab sortit de la mystérieuse arrière-boutique pour venir parler à mon déchiqueteur de viande dans la langue d’Ismaël. Elle en avait visiblement long à lui dire sur un sujet en particulier, car sa tirade fut ininterrompue pendant deux bonnes minutes. Quoique clairement concerné par l’affaire, l’autre ne quittait pas des yeux son bidule et répondait en monosyllabes aux remontrances de madame.

À un certain moment, la femme se tourna vers moi et nos regards se croisèrent. Ma présence sembla l’exaspérer, comme si elle m’eut mis dans le même bateau que son interlocuteur. Je pinçai les lèvres et hochai la tête pour lui signifier ma sympathie, mais j’eus alors l’impression que ma mimique fut la goutte qui débordait du vase, car elle repartit illico dans ses appartements. Quelques secondes plus tard, je vis le jeune homme, soupirant, se diriger vers les toilettes, une vadrouille à la main. Ces petites scènes de la vie quotidienne ont toujours eu le don de me faire sourire.

C’est alors qu’entra un client muni d’une mallette et d’un complet plutôt laid. Personne n’étant au comptoir, il s’impatienta rapidement en regardant sa montre. J’intervins et lui dis que le commis lavait les toilettes, que ça ne devrait pas être trop long. L’homme sacra sans retenue juste avant que la femme ne surgisse de son repaire télévisé pour lui demander ce qu’il désirait. Son choix avait l’air décidé depuis longtemps et consistait en un shish merguez extra sauce piquante avec patates on the side. Puis il ajouta : « Condonc, t’as pas besoin de net, toé, avec ça su’a tête ! » et conclut le tout d’un gros rire gras. Ah ! oui, les malaises ont toujours eu le don de me faire roter, c’est spécial mais c’est comme ça.

J’étais somme toute content de mon repas. J’avais été diverti et avais vu un connard se faire rabrouer solide par plus petit que lui. J’étais passé de l’angoisse confuse à la sérénité confiante et j’avais bien fait d’opter pour un extra navets confits dans mon pita shawarma, car ils s’avérèrent particulièrement délicieux.

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