Lettre à un jeune médecin

Publié le 31 mars 2014

Par Michaël Lachance

L’heure est grave, cher médecin. J’use de ces quelques lignes, pour vous adresser une invitation solennelle. Vous qui terminerez bientôt votre long stage en internat, je vous écris aujourd’hui, car, dans mon quartier de Québec, bientôt, nous n’aurons plus de médecins pour soigner nos citoyens/ citoyennes. En effet, la dernière clinique médicale sans rendez-vous pour tout le bas de la ville entend réduire cruellement ses services, c’est-à-dire que nous ne pourrons plus visiter un médecin sans rendez-vous. Notre quartier, Saint-Sauveur, n’a rien à envier aux autres quartiers du centre- ville de Québec.

Bon, il est vrai que nous n’avons pas de boulangerie, ni de teinturier, ni de librairie; une succursale de la Caisse populaire vient de fermer ses portes sur la rue Saint-Vallier, le centre communautaire Durocher, situé dans le quartier populaire depuis des lustres, sera transformé en HLM bientôt, au grand dam des citoyens et des citoyennes, attachés depuis l’enfance au centre communautaire. De même, nous n’avons pas de ces petits cafés sympathiques, que l’on retrouve dans tous les quartiers urbains du monde. Nous avons un profil sociodémographique peu enviable : niveau de scolarité bas, espérance de vie moins élevée par rapport aux quartiers de la haute-ville, revenu peu élevé. Or, ces statistiques sombres ne sont que l’arbre qui cache la forêt. Car, pour les résidants du quartier, ici, le mot mixité sociale prend tout son sens.

En effet, nous avons des citoyens chaleureux, vivants, dynamiques, multiethniques, des jeunes familles, des jeunes professionnels, des étudiants – comme l’auteur de ces lignes – au statut précaire; de chômeurs à travailleurs atypiques ou autonomes, pigistes et contractuels, sans emploi ou à la maison pour une foule de raisons (maladie, famille, handicap, perte d’autonomie, etc.), ou alors retraités ou semi retraités, riches et pauvres, un malstrom qui donne une certaine couleur au quartier. C’est pour cette raison que je prends soin de vous écrire, vous, dont la fonction vous habitue à fréquenter indistinctement jeunes et moins jeunes, riches ou pauvres, rois ou itinérants.

Sachez, vous dont la fonction primaire est d’aider son prochain, au meilleur de votre formation, au meilleur de vos connaissances, dans l’objectif du bien commun, dans la perspective du mieux-être, vous, sages éduqués qui choisissez une pratique ingrate, mais valorisante, sachez que nous avons besoin de vous plus que jamais. Notre ville fait peu pour le bien de nos citoyens/citoyennes, bien sûr, les rues sont déneigées, bien évidemment, mais pour les services essentiels, comme celui d’un médecin à proximité de chez soi, surtout pour mes concitoyens à mobilité réduite, qui n’ont pas les moyens de payer un taxi pour visiter un médecin au sans rendez-vous en haut de la Ville, pour eux, ce service, tout comme celui d’une boulangerie accessible, une salle de quilles ou d’un bingo, une Caisse pop ou un nettoyeur, relève de l’élémentaire besoin de base. Nous devinons que vous rêvez sans doute d’une contrée bucolique ou d’un pays qui offre des salaires et/où des conditions de travail plus avantageux qu’à Québec. Toutefois, sachez que mes voisins/voisines vous accueilleront avec ce qu’ils ont de plus beau à offrir : la gratitude. C’est le salaire que nous avons à vous offrir pour le moment.

Sachez, toutefois, qu’en œuvrant dans le quartier Saint-Sauveur, vous ne traiterez pas que des patients, c’est tout le quartier que vous revitaliserez ! Et, ici, le terme est on ne peut plus à propos. En outre, nous assurons quelques extra, comme des poignées de mains ici et là dans nos lieux publics, ainsi que des sourires sincères et reconnaissants pour vos bons soins prodiguées. Dans l’espoir que notre lettre vous a enchanté, veuillez recevoir, jeune médecin, nos salutations les plus sincères !

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