Sacs de camouflages

Par Michaël Lachance
Publié le 15 octobre 2023
Pommes d’automne. Photo: DDP

J’y suis arrivé. En tout cas, j’ai survécu à la connerie ; jusqu’ici. Ce n’est pas rien. Je le souligne. J’arrive à ce moment de la vie ou l’on ne sait plus. On oublie. Pour ma part, systématiquement. Non pas par déficit, parce que je le veux bien, c’est tout ; des choses qui arrivent, point. On va tous y arriver. Plus on tient bon sur cette terre et plus les chances de radoter sont fortes. Ce n’est pas mon sujet, cela dit, mais j’y arrive.

Cet été, j’ai voyagé. Pas par vacances. Oui, les vacances, un peu, mais je ne considère pas tant mes voyages comme des vacances. Dans tous les cas, les vacances, ça veut dire quoi ? Foutre son camp lorsqu’on est en enseignement préscolaire en mars pour fuir des parents fous qui vous appellent à minuit pour vous radoter que son enfant est un génie surdoué – doué de douances -, dossier que vous devez désormais gérer pour à peu près tous les enfants : il est lunatique, douance. Il est distrait, douance. Il a une bonne mémoire, douance. Il sait des tonnes de dates par cœur, douance… inutile.

Pour ce ou cette professeure, les vacances s’expliquent. Mieux, il est nécessaire de créer une alliance avec les Bermudes pour financer les déplacements de nos enseignants quatre fois par année. Au XIXe siècle, pour se calmer, on va aux bains thermaux – dans l’Antiquité également. Premier ministre, je finance le même traitement cyclique quatre fois l’an pour tout le personnel soignant sauf les médecins.

Comme médicastre, je sais qu’on n’a pas besoin des Bermudes, pas lorsqu’on peut se payer la Lune. Ça va de soi.

Je suis arrivé à Québec le 28 août. J’ai repris mes routines, sans grand enthousiasme. Aussitôt ici, j’ai été bombardé par l’actualité déprimante. On fait aller. Un matin, un bac en plastoc m’attendait avec une tonne de sacs distribués par la Ville. J’ai été invité à changer le monde par un geste qui équilibrera, semble-t-il, notre rapport au monde, à la consommation, etc. Un dépliant m’a dit qu’on devait « ensemble » faire des efforts pour rendre ce monde meilleur pour nos enfants doués. J’ai épluché la brochure, compris qu’on souhaitait que je garroche mes restants de table dans un sac mauve pour créer de l’énergie propre et fournir une usine qui carbure aux queues de crevettes et autres peaux de poulets indigestes pour enfin – on y arrive – allumer une ampoule dans les toilettes d’un Tim Horton à Beauport…

Pas contre. Comment l’être ? Tous les moyens sont bons pour changer le monde. Bien que nos petits gestes soient plus futiles que nécessaires.

J’ai fait une bouillabaisse, avec la rouille, l’aïoli, les biscuits et tout et tout. Les têtes de poissons, les arêtes et tous les restants de ce plat méditerranéen délicieux ont contribué à remplir un sac mauve à moitié. Un certain dimanche ordinaire sur Terre.

Un lundi soir, dans mon univers, ça puait. Je me suis dit : je vais aller vider mon sac dans le compost, parce que l’odeur est insoutenable. Dans tous les cas, ces sacs sont-ils recyclables ? J’ai fait cette offrande à la Terre dans ma cour avec un petit plaisir à imaginer la surdose de matières dont mon sol allait carburer.

J’ai pensé à tous ces gens qui galopent sur Terre pour emmerder des villes, des villages, souiller des pays pour une photo ou pour dire : «Mon pied a foulé ce sol, je peux, comme mes amis à la job, dire : moi aussi. » Et, c’est à ce moment qu’une tracasserie est venue anéantir ma satisfaction de nouvellement retraité : si les sacs sont souillés, comment peuvent-ils être recyclables ?

Un coup de téléphone, deux ou trois clics, un échange ici et j’ai eu ma réponse sans trop chercher. Synthèse : l’administration de la très belle ville de Québec lance 24 millions de sacs recyclables sur tout le territoire administratif de la région métropolitaine (sic) de Québec. C’est-à-dire, d’une entrée dans la région affichée sur le dos d’une baleine bleue à Baie-Sainte-Catherine, un arbre quelque part dans la réserve faunique des Laurentides et une enseigne entre deux cours d’eau dans Portneuf, on recycle vos restants de tables pour allumer vos ampoules à la Noël. En effet, ces sacs sont recyclables. Vous pouvez utiliser vos sacs bleus pour y foutre tous vos sacs mauves, ils seront recyclés. Or, faites gaffe, car, ces 24 millions de sacs/annuel, une fois souillés, ne le seront plus…

L’incinérateur se charge des restes, qu’importent les particules de plastiques brûlées et soufflées dans les quartiers centraux de Québec, particulièrement dans Limoilou… Septembre, encore.

J’y suis arrivé !

Et vous?

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