Voilà un tronçon qui fait rêver, n’est-ce pas ? La fuite, l’escapade, l’idée que — hop — nous quittons la ville dans une accélération fulgurante en chantant à tue-tête une chanson mièvre sans nous soucier du qu’en-dira-t-on. La courbe est belle, la force centrifuge nous donne des ailes et nous voici joyeusement pris dans l’engrenage de la liberté. Quoi de mieux que de se sentir comme dans une annonce de char l’espace d’un instant ( jusqu’à ce qu’un premier cône orange vienne un tantinet freiner nos ardeurs) pour éprouver pleinement notre condition idyllique ? La passion de conduire das auto, le courage, la légende, c’est clairement dans la bretelle que ça commence. Vroum vroum.
Chef-d’œuvre évident de l’ingénierie civile, la bretelle pourrait facilement se la péter (se les péter). On la dorlote et la chouchoute (on la déneige en premier…) en lui répétant à quel point elle est importante pour contenter l’étalement urbain. Elle n’en demeure pas moins le cœur et l’âme de toutes les heures de pointe et les graffitis sur ses piliers de béton lui procurent un petit côté rebelle qui ne lui déplait pas. Incidemment, nul ne peut s’y aventurer sans être confronté à sa douce arrogance, l’arrogance de celle qui se sait à la fois indispensable et irresponsable. Qu’elle ait pu avoir coûté des millions aux contribuables, qu’elle ait détruit des quartiers résidentiels, qu’elle ne mène qu’à Place Fleur-de-Lys où qu’à un cul-de-sac, elle n’en a cure, car vu du ciel, on ne voit que le pétale autour de l’échangeur, fleur de la ville rêvassée par l’automobile. Le tout donne à la bretelle une personnalité plutôt superficielle et pour le moins lourde.
Mais il ne faut pas se leurrer. La bretelle d’autoroute n’est justement qu’un rêve, une vue de l’esprit, un mirage. On cligne des yeux et elle n’est plus là. Envolée. Essayez ! Elle s’entortille un peu mal et devient un rond-point. Elle s’effondre d’un rien. Elle craque de partout, on la répare en vain. On ne peut en effet colmater la fumée. Car la vérité est que l’autoroute n’a pas de bretelles. Sans bretelles, la ceinture de béton se referme sur elle-même et les voitures roulent à l’infini, le jour comme la nuit. Il n’a jamais été question d’en sortir. Il n’a jamais été question d’en construire. Ceux qui remettraient cela en doute vivent dans un pathétique déni. Voilà ce que je suis venu vous apprendre aujourd’hui.
Il faut voir les choses en face, car l’illusion est vastement ignorée. Cela pourrait être dangereux d’emprunter cette bretelle trompe-l’œil. Nous pourrions virer capot, pronto. Aussi bien tenter de chevaucher une hirondelle, d’attaquer la citadelle ou de vouloir y danser la tarentelle. C’est bien dommage, car nous en étions un peu amoureux, de la bretelle, mais elle est chimère, poussière dans l’œil, virtuelle. La bretelle est une bébelle immatérielle. La bretelle est bagatelle.