Tu vas mal…

Par Gilles Simard, auteur, journaliste et intervenant retraité
Publié le 19 avril 2023

Tu ne dors plus, tu ne manges plus, tu as l’estomac retourné, la gorge nouée, c’est la tempête dans ta tête. Les somnifères, la bière, le haschisch, rien de tout ça ne te fait plus effet. Tu vas mal, tu vis mal, tu as mal. Orgueilleux, tu as laissé ton job avant qu’on ne te vire, et sans mot dire, sans aucune explication, tu as laissé ta blonde, avant qu’elle ne te quitte elle aussi. Tu ne veux plus voir personne et tu terres chez-toi, au sous-sol, dans l’absolue noirceur de ta tête. De ton âme.

— Le téléphone sonne … C’est la petite rousse, une amie de longue date, rencontrée il y a peu en médecine familiale, mais tu ne réponds pas. Tu as trop honte. Et ce psychiatre qui ne te rappelle jamais. Tous pareils, ceux-là! Des trouducs ! Des fonfons surpayés ! Qu’ils aillent tous au diable ! Toi, tu y es déjà …

Tu es fatigué, tu es triste, tu voudrais pleurer, mais tu n’as plus de larmes. De toutes façons, tu ne sais pas comment pleurer. Tu n’as jamais eu accès à ça. Tu as le cœur enveloppé. Tu es vide. Tu es vide mais tu es rempli de peurs. Tu as peur de devenir fou, peur de mourir, peur d’être devenu fou, peur d’avoir peur ; surtout, tu connais bien ton potentiel de violence et tu as peur de commettre l’irréparable, toi aussi. Comme ces gars en colère et « fuckés » dont tous les médias ont parlé : les gars d’Amqui, Laval, Rosemont. Ou comme ces amis, ces connaissances, qui se sont mis la corde au cou. Qui ont avalé des pilules. Qui ont …

— Le téléphone sonne … Encore la petite rousse, Hélène qu’elle s’appelle. Ça faisait longtemps, celle-là.

Ton corps se transforme, ta vision aussi ; tu entends de drôles de sons et toutes sortes d’idées incongrues t’envahissent ; tu glisses, tu glisses, quelque chose d’horrible t’aspire vers le fond. Quelque chose de gluant et de monstrueux. Quelque chose d’innommable ! Tu voudrais appeler à l’aide, crier, hurler, mais tu n’as plus personne, et de toutes façons, les mots restent pris dans ta gorge. À l’intérieur de toi, comme une vague de fond, il y a cette petite voix lancinante qui n’a de cesse de te répéter : « Trop tard mon gars. Tu as trop attendu. Subis, maintenant ! »

— téléphone sonne, c’est la petite rousse, toujours … Et si … Et si ?!

— Allo, oui ?!

N.B. Cet homme en détresse (ci-haut) qui coulait dans les eaux noires de la dépression, c’était moi, il y a de ça plusieurs années. Si je m’en suis sorti, c’est parce j’avais encore quelques bonnes personnes autour de moi. Des gens qui s’inquiétaient. Et qui ont insisté. J’en souhaite tout autant à cette personne de votre entourage qui va mal, elle aussi. Cette personne qui a mal … Téléphonez. Cognez à sa porte. Insistez ! Il n’est jamais trop tard. Jamais.

*1 866 APPELLE

Commentaires

  1. Très réaliste Très belle plume merci du partage.
    La réalité de beaucoup de gens de nos jours détresse humaine qui mène à la folie. Tout d’abord il faut avoir le désir sincère de s’en sortir je pense….

  2. Je te reMercie Gilles pour ton courage et ta determination. Il en faut beaucoup pour parler de la noirceur, de l’ombre en soi. Il faut remonter l’ancre pour naviguer avec sa plume dans les souvenirs douloureux.
    Merci beaucoup!

  3. Votre texte me touche tout particulièrement… Je traverse une descente dans les abîmes et je me sens isolé plus que jamais. Ma retraite récente a été un choc progressif. Bien que je n’entende pas des voix, je peux néanmoins affirmer qu’il y a cette petite voix dévastatrice qui va et vient sans cesse… Surtout en sortant d’un sommeil rempli de rêves étranges, mais assez réalistes qui parlent de près ou de loin de ma difficile condition. Je fais des efforts pourtant. Je vois une travailleuse sociale, je suis sur une liste d’attente pour consulter un psychothérapeute, je consulte même un orienteur parce que je voudrais retourner partiellement sur le marché du travail… Mais, mais, mais mes pensées restent très sombres. La petite lueur tant espérée ne se pointe pas… Bref, ce n’est pas la joie. Et votre texte me rappelle qu’il y a sûrement un quelconque espoir qui se cache quelque part en moi et autour. Merci de ce partage.

  4. Merci infiniment Isabelle; j’aime bien ta métaphore avec « le remontage de l’ancre pour faire naviguer sa plume. » Je sais aussi, connaissant ton merveilleux engagement en matière de maladie mentale (les weeks-ends champêtres), que tu es sufisamment (et depuis assez longtemps) en première ligne, sur cette question, pour bien comprendre de quoi il s’agit quand on parle de la descente aux enfers d’une personne qui souffrira d’une dépression ou d’un trouble. Merci. 😉

  5. Merci du commentaire…

    Oui, bien sûr, il faut avoir le désir sincère de s’en sortir, mais il faut aussi avoir quelques moyens accessibles et correspondant à ce désir (fraternités d’entraide, accès à une psychothérapie, entourage, besoins de base comblés, etc.). Le problème, trop souvent, c’est que les ressources sont insuffisantes ou mal réparties, dépendamment que l’on soit en ville ou en région.

  6. Chère Isabelle, merci beaucoup pour ce commentaire métaphorique hautement apprécié.
    Toujous réconfortant d’en avoir de pareils, surtout quand ça vient de personnes comme toi si profondément impliquées sur cette question de la maladie mentale. Merci 🙂

  7. Cher monsieur Boisvert,

    Merci de votre commentaire qui me touche beaucoup, me rappelant encore une fois, si c’était nécessaire, combien difficile à supporter peut être le mal de l’âme. Ce mal qui ronge si insidieusement et dont on se voudrait bien se débarrasser le plus vite possible. Mais c’est cela le problème. On voudrait aller mieux…Tout de suite!, ou du moins le plus tôt possible, et ça ne fonctionne pas ainsi. Il y a le temps. Le temps que ça prend pour aller mieux, surtout en posant les bons gestes. La bonne nouvelle, c’est qu’il semble bien, monsieur Boivert, que vous ayez posé les bons gestes: travailleuse sociale, psychothérapie, orienteur, etc. Ça ne pourra pas faire autrement qu’aller mieux à un moment donné. En attendant, ne restez pas seul. Faites des choses simples, qui vous font plaisir. Marchez au grand air, écoutez de la musique, faites du ménage, dessinez, allez voir la nature, les arbres, ce sont de grands consolateurs ceux-là. Servez vous aussi des lignes d’entraide et d’aide … Tél-Aide, les Centres de prévention, le 811, les groupes de soutien, votre CLSC local… Appelez aussi (si vous en êtes capable) des proches. N’ayez pas peur de les mettre au courant de votre anxiété, votre détresse, vos besoins. N’ayez pas honte surtout. Il n’y a pas de honte à avoir. Un de mes frères, qui avait passé 35 ans dans l’enseignement, a vécu exactement la même chose que vous, une fois retraité. Sa vie manquait de sens et les idées grises et noires prenaient le dessus. Il est revenu à la surface en faisant de petites jobs ici et là qui lui faisaient du bien (livreur de pharmacie, correcteur, etc.).
    Je vous souhaite le meilleur, monsieur Normand ! 🙂
    P.S. Je vous laisse aussi mon courriel: sellidramis08@gmail.com

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