Palimpsestes: le désespoir amusé

Par Alexandre Dumont
Publié le 18 avril 2021
Michael Lachance Palimpsestes Paris, Éditions du Lys bleu, 2018, 105 pages

 

Le recueil s’ouvre avec une référence au célèbre tableau de Courbet en guise de titre, L’origine du monde, sous lequel se décline un texte aussi percutant qu’irrévérencieux, un calligramme à la forme évocatrice, à la manière d’Apollinaire :

entre tes jambes

ça m’est

égal

e

Palimpsestes, c’est ce contraste, ce jeu que l’auteur assume d’emblée, dès le poème liminaire. Entremêlant les références à l’histoire de l’art, à la littérature et une désinvolture parfois bukowskienne – « je prendrai ta main / je miserai All in / pour voir si ton jeu / en vaut / la peine » –, Lachance nous laisse à la fois amusés et perplexes, flattant nos égos littéraires par la richesse de ses références, mais nous déstabilisant par ses ruptures de ton, de registre, et par les combinaisons improbables entre ses titres et ses poèmes. Je pense ici à « Fugue en La mineur (BWV 543) » :

ne me cherche pas

je suis au dépanneur

je bois une liqueur

sur le bac bleu

des vidanges

 

Michael Lachance ne choisit pas, il embrasse, il juxtapose, il fait résonner « jusqu’à la commissure / des inconforts ». Les deux citations en exergue s’avèrent éclairantes à ce propos : l’auteur a retenu Baudelaire et Josée Yvon. « Qu’est-ce que le cerveau humain sinon un palimpseste immense et naturel? », demande celui que Rimbaud avait appelé « le vrai Dieu » dans ses Paradis artificiels. Et Josée Yvon de lui répondre, dans un écho lointain : « Déjà nous étions seuls / comme de vulgaires siamois / dans toute cette obscène modernité / reptiles dans un pot d’épices obscur. » Un grand écart de poètes maudits en guise d’introduction. Un siècle entre les deux. Et la même modernité lancinante. Cette distension habite l’entièreté de Palimpsestes.

On se demande pourquoi l’auteur, qui déplore l’élévation de « la culture prolétaire » et de « son perspicace / chef-d’œuvre / populaire », qui estime que « d’aucuns / formés / ne sauraient / y lire / que des / billevesées », verse lui aussi dans les références contemporaines et populaires, évoquant un « David [qui] s’échine / une clope après / Breaking / Bad ». Alors qu’on pourrait y voir une contradiction, je perçois plutôt ces contrastes à la façon dont un peintre compose ses tableaux : avec des teintes, des tons et des textures parfois fortement opposés, générant ainsi un sentiment particulier, je dirais même spécifique, chez le regardeur. C’est, pour moi, ce que Lachance arrive à produire comme effet. Un étonnement désenchanté qui laisse à penser…

En somme, l’originalité de Palimpsestes tient à la profonde liberté avec laquelle il semble avoir été écrit. Les poésies plasticiennes de Lachance, comme il l’indique en sous-titre de l’oeuvre, à la fois drôle et pleines de mélancolie, traduisent une exaspération parfois amusé, parfois cruelle, d’un monde décevant.

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