Le couvre-feu, un écran de fumée

Par Mathieu Parent
Publié le 8 janvier 2021

En imposant un couvre-feu à coups de « Il faut… », le gouvernement s’attaque aux espaces de loisirs qu’il nous reste. « Il faut… sauver des vies », entonnaient deux ministres et leur Premier, à la conférence de presse du 6 janvier, où ils alternaient b.a-ba avec « Il faut… sauver le système de santé ».

Ces chantres de la « bonne » gestion agitaient en chaire l’épouvantail aliénant de l’archétype du sauveur en nous faisant porter l’odieux de la situation pour justifier leur menu quotidien de mesures liberticides.

Management totalitaire

Leur pouvoir dessiné comme et pour écran ne nous donne que peu de perspective pour considérer les chiffres et calculs qui nous y sont servis chaque jour. C’est-à-dire un contexte large pour les traiter et nous situer. Leur contexte est devenu la crise elle-même, et ses termes événementiels excluent ceux de la crise du système de santé, de la crise du politique (public) étouffé par le management totalitaire et de la crise de la culture dépolitisée, qui se creusent depuis bien avant la pandémie.

Ainsi, le gouvernement avec une horde d’expert-es-conseils, produits des départements de sciences appliquées de « nos » universités, s’adressent à la population de manière telle que les mesures liberticides apparaissent comme LA solution pour éviter un péril, présent, oui, mais surtout nous guettant dans le futur.

Confinés à la réaction

Il est pourtant connu que le système de santé et son personnel surchauffent depuis des années, que des lits et services ont été fermés alors que la population continue de croître et de vieillir. Plusieurs causes incontournables et pratiques de « la » crise sont liées au passé. Malgré des avertissements, des gouvernements successifs ne se sont pas préparés avec nous, ni pour traverser une telle pandémie, ni pour la prévenir. Bien que nous ayons ici toutes les richesses nécessaires pour, en plus de se donner les moyens de répondre à nos besoins personnels et communautaires, constituer une réserve de fonds publics destinée à prévenir et adoucir pareille situation, les institutions publiques concernées paraissent à cet égard confinées dans une posture de réaction.

Nous sommes conséquemment gardés, avec elles, dans un état réel ou imaginaire d’urgence et de vulnérabilité. Nous tournons en rond dans le virage ambulatoire, et pendant ce temps, le terrain du travail s’épuise et se vide… pour faire place à… l’informatique et ses robots, dont trop peu d’entre nous déterminons le sens du programme.

Perte de réalité

Ainsi le péril EST survenu et est double, constitué par l’inanité des politiques dominantes (néolibérales) envers les enjeux de bien commun, de droits individuels et collectifs ET par le nouveau virus, ajoutant aux facteurs de morbidité avec lesquels nous devons accepter de vivre. S’il n’est jamais trop tard pour s’attaquer au premier élément de cette combinaison catastrophe d’ordre organisationnel et culturel, il est compréhensible que le second élément soit en tête de l’actualité. Par contre, puisque nous sommes devant l’évidence que le virus est là pour rester, il est déstabilisant d’entendre les termes que le Premier ministre utilise pour délimiter son champ d’action pour mitiger les impacts de la pandémie.

Ceux-ci sont militaires et sportifs. « Nous » sommes en guerre. Ainsi nous devrions « gagner » contre le virus : une rhétorique nous éloignant d’une part de la réalité biologique de la situation, car nous devons apprendre à vivre avec ce virus qui évoluera lui-aussi. Mais comment ?

Attaquer l’imaginaire

Après 11 mois de vaillant combat, les efforts pour savoir où circule le virus sont si ténus, avec moins de 9000 tests en moyenne par jour (8431 le 5 janvier dernier)1, soit 0,007% de la population par semaine, que je me demande si les pouvoirs en place veulent vraiment suivre sa présence réelle pour limiter sa progression ainsi que ses effets négatifs sur la santé. L’équipe de relations publiques du gouvernement remplace ce vide par du maquillage chaque jour. Le gouvernement de François Legault s’attaque ainsi à l’imaginaire collectif activant les archétypes incestueux du sauveur et de l’effort de guerre. Si nous n’étions pas pris dans cette dynamique d’entreprise militaire, sportive, compétitive (et capitaliste) conservatrice à laquelle carbure le pouvoir où c’est la mort elle-même, dans notre propre camp, qui devient l’ennemie, nous n’en serions peut-être pas là.

Il y aurait la Vie et pas seulement « des vies ». Il y aurait la Mort et pas seulement « des morts ». Ces vies et ces morts ne seraient plus anonymes, ce seraient les nôtres et celles des autres nous feraient ressentir quelque chose. Alors peut-être nous serions responsables. Et alors être « sauvé » ne voudrait pas dire mourir socialement et politiquement…

Fabriquer des boucs émissaires

Si cette dynamique religio-guerrière n’infusait pas déjà dans l’eau chaude de la politique, il y aurait la folie (la sainte) et la sagesse avec son rire… et peut-être encore un tissu de forêts, de frayères et de marais dignes de ce nom dans la vallée du Saint-Laurent, probablement moins de pesticides dans notre garde-manger, et le gel alcoolisé se vendrait-il 50 ¢ plutôt que 5 $? Parce que la morale la plus élémentaire ne devrait-elle pas empêcher quiconque de profiter de la crise pour faire 1000 % de profits sur le dos de ses concitoyen-ne-s… oups… je voulais dire client.e.s… agent-e-s pathogène-s… je ne sais plus quoi…

Sous ce gouvernement d’autruches paternalistes avec son idée de génie d’imposer un couvre-feu comme à la caserne, nous existons en bons colons colonisés forcés d’entendre pour vérité ultime les directives d’un Père, qui, parce qu’il est autoritaire et complaisant avec l’ordre dominant, ne peut qu’être bon. Les conditions de colon-ne-s et de fidèle-s ne sont jamais bien loin l’une de l’autre.

Un pouvoir absurde

Aujourd’hui, comprimés et isolés dans le piège tendu contre nous, nous ressentons la fièvre étourdie d’un pouvoir absurde se disant obligé d’achever nos espaces d’errances et de liens. Et chaque jour de couvre-feu, ses locuteurs et leurs antennes nous convient à attendre les consignes, tout comme nous nous préparerons à recevoir en pleine figure la facture publique de la crise qui sera socialisée, elle !, contrairement aux bénéfices des minières, des compagnies pharmaceutiques Pfizer, BioNTech, Moderna… et des e-marchands avançant voilés sur Internet, où nos relations sociales s’égrènent. Pendant que l’or du Québec transige au taux record de 2400 $ l’once, 1500 $ de plus qu’il y a dix ans, l’ordre public ne couvre plus son mijoté de fiascos.

Comme pour le développement éolien, les barrages sur la Romaine, l’amphithéâtre, l’informatisation des dossiers de santé, la cimenterie McKinnis, les ponts à péage, nous charrions les charges et cueillons parmi les fruits l’irréparable tâche d’extraction des carrières et toutes ses pollutions corrosives au net. Nous servons de garantie, alors que les bénéfices et privilèges eux, s’envolent aux Caraïbes.

Le couvre-feu est une mesure violente qui concorde avec la croissance des infrastructures liberticides et leurs dispositifs établissant ce que le philosophe Gilles Deleuze appelait la société de contrôle. La régression sous-entendue lorsque le premier ministre signifie que la vie ne sera plus la même : est-ce un appel à nous habituer aux mesures d’exception ? Si oui, rappelons-nous qu’elles sont le prolongement spectaculaire des états d’exception que nous vivons déjà (ex. : baillons, guerre au « terrorisme », loi anti-manifestation, privilèges réglementaires et primauté des « intérêts nationaux » sur des principes de droit).

Nous ne vivons pas une nouvelle grande noirceur, mais un éblouissement aveuglant de lumières artificielles nous repoussant à l’intérieur de nos maisons. Comme tout commence maintenant sur nos écrans et tout y fini, il ne nous reste que des lambeaux de nuit pour retisser le monde. Cette nuit qui est ouverture sur le cosmos, sur une intériorité plus large et plus intrigante qui relativise et même dissout, justement, les mots d’ordre et les certitudes anthropocentrées : à travers quelle fenêtre l’inviter à nourrir nos rêves… éveiller nos mémoires et nos visions ?

Maquiller l’aveuglement

L’État québécois, par l’intermédiaire de François Legault et de sa bande, affirme une nouvelle façon d’être et de se justifier. Que de faire la « guerre » au virus est pour lui une rhétorique parfaite pour radicaliser le loyalisme ambiant déjà prisé dans les cathédrales affairistes qui en façonnent les instances et y confirment un effacement de la condition de citoyen-ne-s à la faveur de celle de « sujet-te-s ». Par la force, ces derniers nous assignent le rôle renouvelable de boucs émissaires d’un système laxiste dans la protection de nos habitats essentiels, du bien commun et de la santé publique.

Pour mieux s’isoler et ériger en doxa sa relation déviante au politique, ce gouvernement nous fait porter le fardeau de l’inefficacité et de l’aliénation du système, privilégiant aux lumières historiques et contextuelles un écran de fumée alimenté par une politique réactionnaire servant de maquillage à son aveuglement.

(mis à jour le 10 février 2021)

Pétition Pour le retrait du couvre-feu au Québec.

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