Renauderie: La cour intérieure

Publié le 20 septembre 2016
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Dessin — Marc Boutin

Par Renaud Pilote

On n’est pas à Limoilou, ici, encore moins à Montréal où les ruelles font respirer les quartiers. Les cours intérieures du centre-ville de Québec sont des enclaves étanches qu’effareront les moins claustrophobes d’entre nous. Divisées en plusieurs parcelles grâce à des clôtures et des murets dépareillés, il est rare que l’on obtienne une vue d’ensemble des galeries du pâté de maisons l’encerclant : une rallonge construite ici et un lierre poussant là empêchent souvent l’appréciation de son envergure. Seuls les chats sauront explorer le détail de ses ramifications. Seuls les arbres, qui parfois y surgissent, s’élèveront suffisamment pour quitter l’ombre quasi perpétuelle de ces enceintes cachées aux touristes.

C’est ainsi que nous sommes toujours ravis lorsqu’un ami nous invite chez lui, dans une section du quartier où nous n’avons jamais pu voir la cour intérieure, comme si un petit secret de la ville allait enfin nous être dévoilé. Oh, nous avions bien aperçu quelque chose, une fois, par une porte de garage laissée ouverte par l’habitant; mais ici, postés au troisième étage, notre curiosité est satisfaite. Cette cour-ci est décrépite, limite glauque. Ce n’est pas grave car, que l’on ait découvert une dump ou un jardin aux mille délices, on sera contents. En effet, ces cours intérieures ne sont pas faites pour être vues ou habitées (à peine fait-on mention d’elles sur le bail), elles sont là, point. Un peu plus loin à notre gauche, certains semblent toutefois se l’être appropriée à leur manière : potager modeste, fontaine discrète et balançoires précaires, autant de trésors à découvrir, sans parler de la joie tout égoïste de se dire « tiens, c’est comme ça ici ». Nous faisons désormais partie de ceux qui savent.

Il y a une tranquillité à respecter, la cour intérieure se voulant une bulle à l’abri du vacarme qu’engendre l’asphalte. Bien sûr, il y aura toujours un voisin pour faire un solo de perceuse quelque part dans l’été, un enfant criard en mal d’attention ou une petite fête judicieusement organisée un mardi soir, mais nous comprendrons qu’il s’agit là de maux inévitables dans la ville vivante et que, puisque le moindre bruit est amplifié par la répercussion sur la brique, il serait exagéré d’aller se plaindre en hauts-lieux, car c’est là le ronron normal de cet amphithéâtre communautaire. Ceux qui rechignent devront prendre l’air hors de leur appartement pour aller jouer dans le trafic, tsé, nous on essaie d’être tranquilles dans la cour intérieure.

Oui, elles se ressemblent un peu toutes, les cours intérieures de Québec. On pourra également dire qu’en général, elles ne valent pas vraiment le détour et qu’elles attireront difficilement des clients sur AirBnb. Ce serait cependant mal les connaître que de les croire insignifiantes. Pour les avoir toutes plus ou moins rencontrées, nous avons fait l’intéressante découverte que les cours intérieures sont, plus qu’on ne pourrait le penser, ouvertes sur le monde.

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