Les aventures de Doc à Québec: Panama mon amour

Publié le 13 avril 2016
Illustration: Patricia Bufe
Illustration: Patricia Bufe

Par Michaël Lachance

Doc a agrippé son verre de Legendario si fort qu’il explosa dans la pièce, comme sa colère, qu’il n’arrivait pas à dissimuler. En trombes, la barista de l’Éluard traversa le café de bord en bord pour sortir par la porte arrière. Elle a l’habitude de tirer sa bouffée de cigarette près des déchets et loin des regards. Lorsqu’elle eut fumé la moitié, elle jeta son mégot par terre, elle rouvrit la porte et cria à Doc :

— Bourru de colon de mes crisses de gosses à marde !

— DE KESSÉ ?

— Pourquoi tu passes tes crisses de journées icitte, bout’ d’viarge ?

— Je paie, j’suis un client comme les autres !

— T’ES TOUTE SAUF COMME LES AUTRES !

Elle parcourut une seconde fois le café de bord en bord, on entendit le vacarme d’une porte qui claque à l’arrière; j’intervins. Je pris la bouteille de rhum cubain derrière le bar et j’en versai un grand verre à Doc. Pour ma part, un doigt dans mon court serré et mi-corsé du Pendjab suffisait. J’entrepris alors de décortiquer le tétanos qui semblait ronger le néocortex de mon médicastre radié :

— Tout doux Doc, tout doux. Tu veux nous faire radier du café ?

— Je vais le racheter ce café, je vais acheter la rue Couillard, je dois sortir mon fric de mes comptes offshores.

— Hein ? Toé du cash dans des paradis fiscaux ? »

— Du temps où j’ai pratiqué dans l’sud de l’Inde, j’voulais un coussin pour les imprévus. »

— Mais t’as JA-MAIS une cenne ! »

— J’aime bien la bohème, mais là, on va devoir compter sur tes poèmes ! »

— Misère… et t’as eu le génie de placer ça où ?

— PANAMA ! »

Voilà qui expliquait cette récente et soudaine montée de sérotonine. Je quittai volontiers Doc pour retrouver la barista dans la cour et lui expliquer le pourquoi du comment. De go, elle rentra à nouveau, traversa le café à grands pas jusqu’à notre table et elle lui lançait d’un seul souffle :

« Un médecin, un ostie de crisse de médecin à marde qui braille ses malheurs comme s’il méritait la terre entière pour nous fouiller dans les orifices pis nous tâter les mamelles pour tirer le maximum de jus fais comme l’autre bariatrique adipeux pis lance-toi en politique ».

Son laïus terminé, elle vira les talons, traversa encore de bord en bord le café pour rejoindre la cour arrière où la seconde cigarette brulait encore. Doc, lui, sorti du café, après avoir lampé son verre d’un trait, il voulait héler un colon qui passait devant pour épiloguer sur la mort à crédit. Je crois qu’il cherchait à impressionner du touriste, un peu comme Bonhomme jadis, ou Joyce dans sa chute d’Ulysse :

« Vos placements offshores ne sont pas vos placements. Ils sont les deniers et le filet nécessaire à l’appel du bien commun, ils viennent à travers vous par vos actions, mais non de vous. Et bien qu’ils soient à l’abri d’impôt, ils ne vous appartiennent pas. »

Doc sembla indisposé, je le toisais par la fenêtre du café, je voulais l’aider. Bien que je fomentais en sourdine une libération de l’Amérique, je demandai conseil pour mon ami cachotier et perdu.

Je croisai alors Lucas sur la rue Couillard, l’avocat fiscaliste de chez Festen Joblos & Ass., un cabinet d’avocats véreux et sans scrupule, habitué à jongler avec du vide sans vergogne. Bref, une connaissance croisée lors d’une soirée mondaine, voilà trop d’années. Lucas, fort occupé à péter des bulles boursières, me dit laconiquement : « Partez au Panama ! ».

… à suivre.

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