Le sourire de l’ara

Par Francine Bordeleau
Publié le 25 septembre 2025
Sigrid Nunez, Les vulnérables, Paris, Stock, 2025, 264 p.

Dans ce neuvième livre, et son sixième traduit en français, l’écrivaine américaine Sigrid Nunez nous plonge dans le passé tout proche de la pandémie de COVID-19. En toute légèreté, pourrait-on dire.

Manhattan désert ? Ça ne pouvait arriver qu’en 2020, durant la pandémie. Obligation était faite aux populations de rester chez elles, vous vous souvenez ? Les amies de la narratrice des Vulnérables, toutes des intellectuelles ou des artistes affublées d’un nom de fleur – Violet, Jasmine, Rose… – peuvent aussi se réfugier à la campagne. Iris, elle, est coincée chez sa belle-famille, en Californie. Et il lui faut urgemment quelqu’un pour s’occuper d’Euréka, le perroquet (un ara flamboyant) qu’elle a dû laisser dans son très luxueux appartement new-yorkais.

Le rôle échoit à notre narratrice jamais nommée. La sexagénaire (ou septuagénaire ?) en viendra même à s’installer chez Iris. Mais ce confinement pandémique plus que confortable sera bientôt gâché par l’arrivée impromptue de Vetch (soit « vesce » en français, une plante de la famille des fèves), un vingtenaire qui avait gardé Euréka avant la COVID. S’il s’agit d’une cohabitation forcée, les lieux sont vastes, et les deux colocs, qui n’ont pas grand- chose en commun, peuvent facilement s’éviter.

L’ara Euréka, lui, semble parfois deviner la dynamique qui se joue entre les deux personnages. Euréka qui, jusqu’à un certain point, fait figure de révélateur. Et de médiateur. Car c’est d’abord par le truchement du volatile que Vecht le jeune et la narratrice qui est son aînée de plusieurs décennies trouvent à s’affronter, puis à communiquer.

Vagabondages

Récit postpandémique, Les vulnérables peut se lire comme un appel à l’empathie, voire à la gentillesse. De fait Sigrid Nunez, s’appuyant en cela sur une flopée d’auteurs, développe ici l’idée que ce bas monde compte davantage de bonnes personnes que de salauds. Et peut- être a-t-elle raison. Sinon, l’humanité ne se serait-elle pas autodétruite depuis longtemps ?

Mais si l’autrice nous propose une histoire dont Euréka, et les rapports humains qu’il sert à mettre au jour, pourrait être le prétexte, cette histoire est assez ténue. Son livre se compose de digressions, et en particulier de réflexions diverses et à bâtons rompus sur la littérature, la lecture et l’écriture. Est ainsi convoqué l’esprit de Joan Didion (1934-2021), journaliste et romancière bien connue pour ses écrits sur les hippies, mais aussi de Virginia Woolf, Charles Dickens, J.M. Coetzee, Jorge Luis Borges, Norman Mailer, Jack Kerouac… Sans oublier quelques incursions du côté de la politique très récente, avec des commentaires sur Donald Trump, notamment.

Écrivaine relativement discrète bien qu’elle ait remporté le National Book Award en 2018 pour The Friend (L’Ami, Stock, 2019), Sigrid Nunez a atteint une certaine notorié- té depuis que le cinéaste Pedro Almodovar a adapté Quel est ton tourment ? (Stock, 2023) sous le titre La Chambre d’à côté (sorti en 2024). Les vulnérables forme d’ailleurs, avec ces deux romans, une trilogie. Si ce troisième opus s’inscrit dans un mode un peu plus mineur, il constitue une sorte de méditation sur le monde qui trouve sa per- tinence dans la sérénité qu’elle distille.

 

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