Le temps à l’ombre du Temporel

Par Francine Bordeleau
Publié le 18 avril 2023
Martin Têtu, Félix au Café Temporel, Montréal, Persona, 2022, 158 p. (avec des illustrations de Sophie-Audrey Lalonde-Sauvé).

Le temps à l’ombre du Temporel Par Francine Bordeleau Dans ce premier roman, Martin Têtu brosse un portrait de la génération X, en sandwich entre les baby-boomers et les milléniaux. On y prend d’autant plus de plaisir que l’histoire est campée dans le Vieux-Québec, avec le Café Temporel comme point d’ancrage.

Félix Dubois, étudiant en génie civil et ci-devant narrateur de Félix au Café Temporel, vit encore chez ses parents, à Charlesbourg, ce qui ne l’empêche de traîner ses guêtres au Temporel, vénérable point de ralliement, sis rue Couillard, pour les intellectuels et les artistes. Il y retrouve régulièrement les très politisés et conscientisés Darren et Phil, toujours plongés dans une discussion sur les grands enjeux de l’heure. Ces deux-là projettent même de lancer un journal. C’est dire!

Or voilà que notre héros a bientôt l’occasion d’être embauché comme serveur, ce qui l’amènera à quitter le nid familial et à emménager dans le Vieux-Québec : un premier pas vers l’indépendance, mais aussi l’âpre découverte des affres et contingences de la « vraie vie ». À petit boulot, petit salaire. Félix peut se permettre des virées au Sacrilège en compagnie de ses copains de la radio communautaire CKRL, c’est toujours ça. Il a abandonné ses études, pour toutes sortes de raisons, mais a pris du galon au Temporel. Est devenu gérant. C’est toujours ça.

Les moyens de ses illusions

Martin Têtu nous « parle d’un temps que les moins de 30 ans ne peuvent pas connaître », comme chantait Charles Aznavour (dans « La Bohème »). Ce temps, c’est celui, pas si lointain, de l’horizon économique bouché, soit la fin des années 1980. L’un des films cultes évoqués dans le roman est d’ailleurs La société des poètes disparus, sorti en 1989. Les baby-boomers, forcément nombreux (comme le terme l’indique) et toujours dans la force de l’âge, accaparent les emplois disponibles.

La génération qui suit doit composer avec les restants. Les emplois à temps plein sont rarissimes et contrairement à aujourd’hui, les processus d’embauche dans la fonction publique et les maisons d’enseignement sont longs et laborieux. C’est le temps du « Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». On ne butinait pas d’employeur en employeur dans ce temps-là et on ne démissionnait pas par texto.

C’est donc cette génération X, que le New York Times a déjà décrite comme un « enfant du milieu oublié, morose et maladroit », qui est mise en scène ici. Avec beaucoup d’humanité et d’empathie, il convient de le souligner. Mais Martin Têtu est né en 1972. Ceci explique cela.

Martin Têtu est aussi né dans le Vieux-Québec que, de toute évidence, il aime d’amour. Cofondateur du Festival OFF de Québec, il a suivi de près les grands enjeux qui ont secoué le centre-ville avant de déménager à Montréal voilà une dizaine d’années. Ce passé transparaît dans les discussions, truffées de considérations à caractère politique, qu’ont les personnages, et c’est franchement intéressant. L’histoire de Félix trouve son épilogue au début des années 2000. « Je suis […] le monde auquel je m’agrippe », dit notre homme avant de disparaître.

 

 

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