Adieu au 17 de La Barricade

Par Hélène Matte
Publié le 19 février 2023
Le 17 de La Barricade à Québec. Photo: Sonia Plourde

En 2022, on apprenait que le 17 rue de la Barricade sera transformé en logements touristiques. La nouvelle est banale. Combien de milieux de vies et d’ateliers d’artistes ont été annihilés par l’industrie touristique depuis un, dix ou trente ans ? Nul ne tient le compte. On s’attend à ce que le nouveau propriétaire procède de la même manière qu’avec l’édifice voisin, Les Lofts Saint-Pierre, qui lui appartiennent également. Ainsi on ne se réjouit qu’à demi qu’il préserve le caractère patrimonial du lieu. Dans les faits, il n’a pas le choix et ne s’en tient qu’au façadisme.

Or, si la nouvelle n’a rien d’exceptionnel, l’endroit, lui, l’est. Construit en 1905, le bâtiment industriel de quatre étages servait notamment au transbordement de marchandises. On y trouvait encore des fenêtres immenses, de hauts plafonds, des parquets aux larges lattes de bois et des murs en briques. Les étages avaient été séparés par des pièces mal isolées qui servaient officiellement d’ateliers. Il y avait des locaux d’entreposage et des coffres forts. L’endroit paraissait désert. Ça sentait le Varsol et la vieille fumée de cigarette. Malgré la fonction commerciale du lieu et son entretien douteux, des personnes y habitaient. Le 17 rue de la Barricade était le seul endroit où, prenant un verre lors d’un vernissage d’exposition, on pouvait croiser quelqu’un en robe de chambre qui partageait la salle de bain du même étage que la galerie. Le bâtiment, plutôt anonyme, situé entre le Musée de la Civilisation, La Caserne et des appartements huppés de la rue Saint-Pierre, était on-ne-peut-plus underground.

Monsieur Tailleux, l’ancien propriétaire, avait fait preuve de largesse, ce qui faisait l’affaire des locataires bénéficiant de prix avantageux. Cela avait moins plu aux autorités financières qui lui avaient donné du fil à retorde pour toutes les taxes qu’il avait omis de calculer. Par contre, tous s’accordaient à propos de sa gentillesse. Le nouveau propriétaire est d’un autre acabit. Bien que, dans le Journal de Québec (article du 6 septembre 2022), Gestion Patrick Thériault Inc. prétendait agir de bonne foi envers les locataires, c’est un mépris terrible qu’il a manifesté lors d’un entretien, quand a été mentionné que les résidents (ceux qu’il traitait de raclure) auraient autrement pu bénéficier de mois de loyer et de déménagements gratuits et que des normes, sinon de la décence, s’appliquent particulièrement quand il s’agit de personnes âgées. Car bien qu’il se soit cru munificent en affichant l’avis d’expulsion un an d’avance, c’est plutôt à l’anxiété et à la détresse qu’il a contribué. À une semaine de la date butoir, quelques-uns ne savaient pas encore où ils déménageraient. Combien, se sont finalement trouvés sur le carreau? Nul ne tient le compte.

Combien d’histoires, de gens et d’œuvres le 17 de la Barricade a-t-il vu passer ? Personne n’a tenu de compte, néanmoins deux de ses artistes ont eu la bonne idée de documenter le lieu durant cette transition décisive. Autrement engagés, ils ne dénoncent pas directement l’éradication des lieux alternatifs, le manque de logements à prix modiques ou l’adversité à laquelle les artistes font face. Si tout cela fait office de décor, leur long métrage brossera plutôt un portrait des lieux, par le biais des gens qui ont ouvert leurs portes pour témoigner de leur expérience dans cet espace singulier. Tandis qu’on a beaucoup plus hâte de voir leur film que de constater les rénovations, David Nadeau Bernatchez et Sonia Plourde présentent le synopsis du projet en cours : « Le 17 de la Barricade se dresse au cœur du Vieux Port de Québec. Alors que tout le quartier s’est progressivement remis à neuf depuis 30 ans, cette bâtisse porte toutes les traces de son âge. Depuis 1984, elle abrite les ateliers de plusieurs artistes et artisans, ainsi que quelques résidents. En février 2021, le 17 de la Barricade a été vendu et se prépare désormais pour sa nouvelle vocation: des logements touristiques. La persistance des choses témoigne de la fin d’un cycle.

Commentaires

  1. J’ai demeuré 18 ans au 17 de La Barricade, anciennement la rue St-Jacques. Vous pouvez me contacter. J’ai plein de belles choses à dire. Au plaisir.

  2. Merci Hélène pour ce texte qui retrace bien la vie de cet immeuble si singulier. Merci aussi pour la mention concernant le documentaire.
    APPEL À TOUS
    Si vous avez déjà été locataire du 17 de la Barricade, nous cherchons toujours à compléter la mosaïque des gens qui l’ont traversé, pour le film. Contactez-moi par courriel à info@soniap.com

  3. Merci Hélène pour ce texte qui retrace bien la vie de cet immeuble si singulier. Merci aussi pour la mention concernant le documentaire.
    APPEL À TOUS
    Si vous avez déjà été locataire du 17 de la Barricade, nous cherchons toujours à compléter la mosaïque des gens qui l’ont traversé, pour le film. Contactez-moi par courriel à info@soniap.com

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