Chronique ’84  

 Par Michaël Lachance
Publié le 16 septembre 2022
Au bassin Louise. Archives DDP

Castor et Pollux

On n’aurait pas su l’eau du bassin Louise si dégueulasse ; il fallait voir les skippers d’un peu partout s’accoster à la marina, moitiés saouls, qui jettent leurs bières par-dessus bord. J’ai vu une bière sortir de l’eau et r’voler vers un trois-mâts.

Un gars pas loin regardait tout autour et a dit :

– Voyons câlice, c’est qui le malade ?!? Soudain, près du voilier, une tête est sortie de l’eau, bouteille à la main :

– Doc, on m’appelle Doc !

– Puis-je ?

Puis, Doc a nagé jusqu’au quai. Il ventait un peu, les nuages gris écrasaient le ciel et le Pape était à Québec.

Doc est diplômé de chirurgie générale de l’université Laval. Voilà pour les études. Il a dégoté un petit appart’ dans le Vieux-Québec, rue Sainte-Ursule, tout près des Plaines. C’est là qu’on s’est croisés pour la première fois. Il n’avait pas payé ses deux derniers loyers, ni Hydro depuis belle lurette. Il a perdu le courant et est venu cogner chez moi pour pouvoir téléphoner à Laurence, une amie et collègue. Il proposa un party chez moi au soir, sans mon consentement ; son amie allait passer, j’ai trouvé l’idée embarrassante.

Durant la soirée, il m’a dit son aversion pour les connards qui polluent le bassin sans vergogne. Il s’était mis en tête d’aller faire quelques longueurs pour dégriser de la veille tout en se faisant le policier des eaux. Or, sa technique de sensibilisation ressemblait plutôt à de l’intimidation ou de la provocation et, il lui est arrivé de croupir parfois dans la prison sur Victoria, pour toutes sortes de méfaits aux bateaux de la marina.

Une fois, j’ai été le rejoindre à sa sortie de cellule ; il boucanait, furieux :

– Un jour, je vais faire de la politique pour empêcher ces câlices-là de polluer mon bassin !

La police de Québec a fini par bien le connaître, certains étant même sympathiques à sa cause, bien qu’il ait semé le trouble sans arrêt. On lui pardonnait bien des choses.

On était sur la terrasse d’une taverne rue Saint-Paul, j’ai demandé à Doc pourquoi se militantisme un peu extrême ?

– Parce qu’on doit combattre la pollution par la pollution : tu pollues, je te pollue.

J’enchainai : – On devrait t’appeler Pollux ?

Il répliqua du tac au tac : – Et toi Castor ! Le dompteur et le pugiliste, on ferait un binôme du tonnerre !

Ainsi débuta une amitié et nos surnoms firent sensation, surtout auprès de Laurence. Doc alias Pollux avait pour projet de militer pour rendre sa ville propre et moi, j’avais pour mission de le contenir, au possible…

Les gens faisaient la file pour voir le Pape Jean-Paul II. J’eus préféré croiser les voiliers sur le , fleuve mais, Doc tenait à voir le Pape. Pas tant que je tenais à l’accompagner, sachant le risque évident. Le personnage m’impressionnait, on n’en croise pas tous les jours sur notre chemin de Compostelle intérieur des malades comme lui !

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