De l’inconvénient d’être insubordonné

Par Michael Lachance
Publié le 30 septembre 2021
Un porc-épic en ville. Photo: ML

“(…)

Je n’ai plus d’imagination

Ni de souvenirs forcément

Je regarde finir le monde

Et naître mes désirs.”

– Marie Uguay, Extrait de L’outre vie, 1978

 

Le quart de lune rouille orangé flambant dans le brouillard et la nuit m’a carrément tué. Je ne sais pas s’il s’agit du nickel rouge de Beauport monté en volutes après l’ondée de pluie fine, un peu moins tard ; ce ciel m’a semblé lamentable, vulnérable et fantastique ! Ai-je assisté au déploiement tonitruant du dernier film budget de Denis Villeneuve ? La Ville Lumière lumine-telle assez pour se rendre jusqu’à nos accents d’Amérique ? Que sais-je ou que puis-je devant le spectacle permanent de nos déconfitures grosses de même !

Parlant de gros, Doc ne m’a pas semblé de bonne humeur, pas d’emblée en tout cas. On s’est rejoints devant le café fermé sur Couillard, on a marché tout près des remparts – pas trop près non plus. Doc a chevauché un canon, sorti deux flûtes mal lavées et un mousseux très moyen pour soliloquer pendant dix minutes à propos de son horreur des « consignes », son irréversible dédain pour la « conduite » :

À l’épicerie, la cliente avec son doigt réprobateur, « mais regardez les flèches au sol bonyenne ! vous êtes dans le mauvais sens ! »

Un gars châtain niais beaucoup trop grégaire qui stupidement éructe, «mettez-vous dans la file d’attente, vous là »

Une autre radote devant l’éternité, « Vous ne pouvez pas, vous ne pouvez pas, vous NE pouvez PAS. »

Un tout le-tour du front qui me garroche, sans vergogne, « Allez, c’est par là, avancez ! », comme si on avait fait pousser des radis ensemble.

Celle-là qui chauffe le taxi, « Ben non, voyons ».

Celui-ci au IGA, « c’est comme ci, c’est comme ça ! ».

Patati, patata et tutti quanti !

C’est un full sentimental, dans le fond. Incorrigible parmi tous les effrontés de ce monde, sa gueule vient et revient, il ne fond jamais dans le décor. Et même s’il le voulait…

– Que dire, Doc ?

– Rien, passe-moi ton verre, il est déjà vide…

– Observateur mon cher Watson !

– Comment ?

– Watson, comme dans Sherlock Holmes ?

– Tu te prends pour Holmes ? – Je n’y ai pas réfléchi.

– Ne m’appelle plus jamais comme ça.

– OK.

– Viens, on va allez lancer des flèches à une pancarte politique.

– Quel parti ?

– On s’en fout !

– Tu connais les partis à Québec ?

– Non, aucun.

– Je sais qu’ils sont tous mauvais.

– Pourquoi dis-tu ça ?

– À gauche on va idéaliser une Ville qui n’existera jamais. Au centre, comme tout parti centriste, on va les voir mourir dans un étau et à droite, ça va radoter « mes taxes, ma pelouse, mon camion, mon char, moé-là, on va se dire les vrais affaires , blablabla et ta, ta, ta. » – Donc, on commence par quel bord ?

– À droite, forcément à droite !

C’est un full sentimental, dans le fond. Incorrigible parmi tous les effrontés de ce monde, sa gueule vient et revient, il ne fond jamais dans le décor. Et même s’il le voulait…

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