Le retour de la ville éphémère

Par Marc Grignon
Publié le 17 juin 2021
L’aménagement de la rue Deligny en rue partagée, quartier Saint-Jean-Baptiste. Photo: Marc Grignon

Les rues piétonnes, les rues partagées et les places éphémères reviennent en nombre accru cet été. Ces aménagements saisonniers, qui existaient déjà, bien qu’en nombre limité avant l’été 2020, sont devenus un moyen intéressant de favoriser le respect des mesures sanitaires dans l’espace public en contexte de lutte contre la pandémie de COVID-19, et ils se sont multipliés.

Au moment d’écrire cet article, tous les projets de l’été 2021 ne sont pas encore réalisés, mais force est de constater les efforts investis par la Ville de Québec pour améliorer la convivialité de l’espace public : plus de quarante « places éphémères » sont prévues, et même si parfois ces placettes redoublent des places publiques existantes (comme la place des Jardins de l’Hôtel-de-Ville), l’importance du geste doit être soulignée. À ceci s’ajoute une dizaine de rues piétonnes et une quinzaine de rues partagées, dont l’impact sur la vie de quartier est encore plus significatif quand les aménagements se complètent entre eux. Ainsi, la place Saint-Jean-Baptiste, sur le parvis de l’église, amorce un enchaînement qui comprend les rues Deligny et Richelieu, partagées pour l’été, en plus de la rue Claire, dont le statut de voie partagée est permanent. On voit ainsi poindre l’idée d’un secteur complet où la cohabitation des voitures, des vélos et des piétons dans un espace commun est mise de l’avant.

Ces aménagements estivaux, pris dans leur ensemble, font temporairement émerger une ville meilleure, plus conviviale et plus sereine, mise en place pour quelques mois dans un espace où les problèmes, eux, sont tenaces : manque de verdure, îlots de chaleurs, trottoirs étroits et obstrués, traverses piétonnes effacées et très peu respectées, etc. Des problèmes qui ont aussi leurs pendants hivernaux, comme les trottoirs glacés, souvent impraticables, les grands vents autour des édifices en hauteur, la pression de l’automobile sur les piétons coincés dans des espaces trop étroits, forcés à céder le passage même sur les feux piétonniers…

Cette ville éphémère est un peu comme une de ces « villes invisibles » d’Italo Calvino, toutes plus originales et dépaysantes les unes que les autres : celle-ci est faite panneaux de signalisation amovibles, de peinture au sol, de bancs ou chaises de jardin colorés, et elle ne se manifeste que ponctuellement, selon des horaires capricieux : la 3e avenue est piétonne entre la 10e et la 11e rue à partir du 1er juin, du mardi au samedi, de 16h30 à 23h30, et le dimanche, entre 12h et 19h; l’avenue Cartier, à partir du 4 juin, le vendredi de 18h à 22h, le samedi et le dimanche, de 10h30 à 22h, etc…

Remarquons aussi l’inégale répartition des projets d’aménagement dans les quartiers—ce qui met bien en évidence les conditions et les problèmes qui ne sont pas les mêmes selon les secteurs. Par exemple, le peu de rues partagées ou de rues piétonnes dans Saint-Roch reflète clairement la situation d’un quartier où la fluidité des voies de transit a été systématiquement favorisée aux dépens de la qualité de vie des résidants. Le nombre d’axes « intouchables » dans ce quartier est en effet étonnant, par comparaison à son étendue (le boulevard Charest, les rues de la Couronne, Dorchester, du Prince-Edouard, Saint-Vallier, Arago), sans parler de ces bretelles d’autoroute qui dominent sa partie est.

Mais néanmoins—malgré une certaine timidité dans les aménagements estivaux envisagés par l’administration municipale—on a l’impression qu’une ville meilleure commence à se dessiner pour les résidants des quartiers centraux. Le caractère éphémère de ces aménagements leur donne en effet un véritable statut de projet; ils appellent à réfléchir collectivement et à petite échelle sur les améliorations possibles, à imaginer de nouvelles approches, à rêver d’une ville plus humaine. Certes, ce ne sont pas toutes les mesures mises en place pendant l’été 2021 qui pourraient être pérennisées, mais globalement, comme ils répondent à des problèmes existants, ces modestes aménagements mettent en évidence de pistes qui pourraient devenir de véritables priorités dans le développement des quartiers. Si elles sont devenues des priorités pendant la pandémie de COVID-19, ces mesures ne pourraient-elles pas aussi guider des projets plus durables?

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