De l’inconvénient de la solitude

Par Michaël Lachance
Publié le 13 juin 2020
Illustration: Pierre Otis

À vingt ans, je n’avais en tête que l’extermination des vieux ; je persiste à la croire urgente mais j’y ajouterais maintenant celle des jeunes ; avec l’âge on a une vision plus complète des choses.
– Emil Cioran

 

Sur des battures à découvert, à bon port, Doc savoure ses transgressions. Seul à la plage, il goûte son éternel Legendario cubain, couché sur une transat de fortune, fabriqué à même ce qui a autrefois servi de planches de cèdres pour une cabane à patates. La solitude ne l’ennuie pas, comme toujours, son être s’épuise devant trois personnes d’un même réseau informel. Il a choisi la plage, il eut pu choisir une piscine. Son indéniable goût pour la mer, le ressac de ses aventures, estropié contre le premier rocher, a dominé son choix.

Sa vie, fait de heurts, de vagabondages, de misères et d’esprits – il a offert la pareille maintes fois –, lui offre une seconde chance. Il ne va pas passer à côté.

Doc est prostré comme une crevette, étendu sur du cèdre. Il suffit d’un appel du large, debout, le monde ne saurait savoir sa volonté d’exister !

– Monsieur Doc ?
– Qui d’autre.
– Je vous passe le bureau du ministre de la Santé.
– C’est long…
– Ici docteur Arruda, comment allez-vous Doc ?
– Quoi de neuf ?
– Je connais vos publications concernant l’importance des poumons, chez
les humains.
– Mais encore ?
– Désolé de vous distraire avec mes vétilles, mais dites-moi : doit-on
considérer les poumons comme essentiels pour respirer ?
– Si vous voulez terminer cette discussion, Dr. Arruda, oui, je considère
toujours les poumons nécessaires pour, ne serait-ce, fumer une cigarette
ou cracher des âneries dans l’air.
– Vous répondez en partie à ma question.
– Quelle question ?
– Sans poumons, Doc, on ne peut pas mourir d’une maladie qui s’y
attaque ?
– En effet.
– Pourquoi ne pas faire une ablation généralisée des poumons ?
– Je n’ai pas réfléchi à ça.
– Penses-y et revenez-moi. C’est vital !

Doc oublie cette conversation et lampe comme un moine assoiffé son verre de
rhum. La marée se pointe à ses pieds, c’est là qu’il réagit. Il call un taxi, rentre
chez lui et rappelle Dr. Arruda :
– Horacio ?? C’est Doc là.
– Oui, merci de vous souvenir de mon prénom Doc.
– Aucun mérite, j’ai un GIF animé où on vous voit danser sur une musique
insipide. Je l’ai téléchargé.
– Ça a été une erreur, je regrette.
– Collègue, si vous m’aviez vu pisser sur le pas de la maison blanche, vos
lubies inconséquentes vous seraient agréables.
– Je sais vos succès mon ami – puis-je le prétendre ?
– J’en doute. Mais revenons à vos préoccupations.
– Oui.
– Les poumons.
– Oui.
– C’est bon.
– Collègue, je vous suggère une pause. Je vous remets un billet pour deux
semaines de repos.
– Pourquoi mon ami.
– Arrêtez de m’appeler « ami ».
– Désolé.
– Dans le GIF animé que j’ai téléchargé pour mon téléphone, j’ai soustrait
cinq points importants.
– Lesquels ?
– Dans cette vidéo débile, votre pression artérielle, visible sur trois points
de rencontre, indique un taux supérieur à 7/mm Hg (millimètre de
mercure/Torr), ce qui confirme une hypertension artérielle.
– Oh…. Ensuite ?
– Rien.
Doc a raccroché, s’est lancé un Legendario derrière la cravate et a fait une sieste

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