Les femmes et la musique

Par Lorraine Paquet
Publié le 6 février 2019
La chercheure Michelle Monette. Photo: courtoisie.

Pas d’Antoinette Vivaldi, de Francine Schubert, ni de Jacqueline Offenbach dans l’Histoire ! Bien sûr : « Les femmes sont comme les miroirs, elles réfléchissent mais ne pensent pas. » L’auteur de cette perle, Henri Béraud, ne date pas d’un Moyen Âge arriéré, mais d’hier (XXe siècle). Le sexisme ayant sévi dans tous les domaines, la musique n’y échappe pas. Nannerl, la sœur de Mozart — considérée comme enfant prodige — s’est vu interdire de jouer du piano lors des tournées avec son frère parce qu’elle avait atteint l’âge de se marier.

Quelques bémols!

Mais, notre société a évolué (à la vitesse du son !). C’est ainsi que le six mars prochain, Rendez-vous Classiques présente un événement remarquable : seules des compositrices y seront interprétées. Au piano, Fabienne Gosselin et à l’animation, la chercheure Michelle Monette.

Madame Gosselin, détentrice d’une maîtrise en interprétation classique de l’Université de Montréal, pratique et enseigne la musique à Québec, travaille comme directrice artistique de l’Ensemble Lunatik, a joué au Centre d’Arts d’Orford, au Domaine Forget, s’est classée finaliste au gala Femmes de Mérite (YWCA Québec 2015), et a participé à la création de la musique du film Échos. Initiée à la direction d’orchestre, elle joue beaucoup de répertoire contemporain, ce qui lui donne accès aux œuvres des compositrices.

Longtemps exclues des grands orchestres

« Les grands interprètes du XXe siècle sont principalement des hommes, dit-elle, même lorsqu’une femme jouit d’une compétence égale, par exemple Rosalyn Tureck pour le répertoire de Bach. Les dames ont longtemps été exclues des grands orchestres, et ce à toutes les chaises. L’acceptabilité des femmes chefs d’orchestre crée d’ailleurs toujours une certaine polémique dans certains milieux ». Madame Monette renchérit en citant Herbert von Karajan : « La place des femmes est dans la cuisine, et non dans l’orchestre ».

Dieu merci, les mentalités ont changé. De plus en plus de femmes dirigent, entre autres JoAnn Falletta et Marine Alsop, des sommités mondiales. Au Québec, Dina Gilbert se démarque internationalement ». Elle ajoute : « On a déjà cru que les femmes avaient un cerveau plus léger ! Or, le cerveau d’Einstein était du même poids que celui de la moyenne des femmes. Mais on n’encourage la créativité musicale que chez les garçons. Fanny Mendelssohn, sœur de Félix, aurait pu porter son art à de hauts sommets si elle avait bénéficié, comme son frère, des plus illustres professeurs d’Europe et de la possibilité d’être jouée par les meilleurs orchestres ».

Se mettre au diapason

« Notre époque compte des compositrices exceptionnelles (plus de 6 000 en 1980), poursuit-elle, dont des Québécoises. J’en ai découvert au-delà de 2 150 en streaming. Parmi les plus célèbres : Sofia Gubaidulina, Galina Ustvolskaya, Unsuk Chin, Anna Thorvaldsdottir, Kaija Saariaho, Meredith Monk… »

Qui a entendu parler d’elles ? Même les jeunes diplômés de nos conservatoires et facultés de musique ne connaissent pas de compositrices. C’est dire que les générations précédentes, qui choisissent la programmation des concerts, n’innovent pas. Un autre problème est le nombre beaucoup moins élevé d’œuvres enregistrées sur disques.

Madame Monette a calculé que pour 2018, à peine 10 % des nouveaux albums en musique classique contiennent au moins une œuvre de compositrice. « Si on se limite aux albums dont toutes les œuvres sont composées par des femmes, cela donne 3 % des nouveaux albums, ce qui correspond, à peu près, au pourcentage d’œuvres jouées par nos orchestres symphoniques. Résultat : les radios diffusent peu les compositrices. Dans l’industrie du streaming, les algorithmes favorisent nettement les grands compositeurs du passé. Mais là au moins, les compositeurs actuels en pâtissent autant que les compositrices. »

Accordons nos violons !

Madame Monette est convaincue que les femmes vont occuper de plus en plus de place dans le monde musical, à condition que l’industrie de la musique classique s’ouvre aux œuvres actuelles. L’autre problème, le « boys club », n’est pas exclusif au domaine de la musique classique. Pas plus que les préjugés et le harcèlement sexuel. Plusieurs combats à mener, mais heureusement un nombre croissant de femmes et d’hommes s’activent pour corriger les aberrations héritées du passé.

Concert-causerie avec quatre compositrices du passé : Marianna Martines, Louise Farrenc, Amy Beach, Jean Coulthard, et une jeune Québécoise, Maëva Clermont. Mercredi 6 mars, 19h30. École de musique Arquemuse, 850, Salaberry. Réservation 418 521-4070. 15 $

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