Saint-Sauveur en cœurs

Par Francine Bordeleau
Publié le 24 octobre 2018

Dans son dernier livre, Lyne Richard, écrivaine, artiste-peintre et résidante de Saint-Sauveur où elle est née, raconte la vie qui bat dans le quartier-emblème de la basseville de Québec.

Serrant contre lui une « boîte secrète », Nathan, 7 ans, se rend au poste de police du parc Victoria pour dénoncer quelque chose de mal. Il vient dénoncer… le chagrin de sa mère cocufiée !, et en guise de preuve brandit sa boîte, qui contient des centaines de Kleenex remplis de larmes. On reverra Nathan essuyant une larme en compagnie de Lucien, un homme qui « aime les chansons tristes ». Un peu plus loin, un sans-abri sera tout heureux de découvrir, après le passage d’une ambulance, la « belle boîte jaune » de Nathan pleine de Kleenex.

Quinzième livre de Lyne Richard, Les cordes à linge de la Basse-Ville se présente comme un « roman par nouvelles » constitué de 28 textes très brefs. Le fil conducteur en est le quartier Saint-Sauveur, arpenté en long et en large par l’auteure jusqu’à la côte de la Pente-Douce, que Roger Lemelin a mise en scène dans Les Plouffe.

L’esprit du lieu

Avec Lyne Richard, on se balade donc dans les rues, à l’instar du protagoniste de la nouvelle qui donne son titre au recueil. Ce passionné des cordes à linge fait sa « tournée » le lundi, traditionnel jour d’étendage, et prend des photos : des photos de la vie, parce qu’étendre son linge, c’est dévoiler sa vie même. C’est par conséquent, dans le monde d’aujourd’hui, une pratique risquée (par exemple, la corde où s’étalent les « sous-vêtements féminins en dentelle de toutes les couleurs »), et on peut se demander si la prémisse de l’auteure relève d’une vraie réalité du quartier ou est un (nostalgique) prétexte littéraire.

Reste… tout le reste. Il y a, au premier chef, l’écriture, tout en finesse, en ellipses et en éclairs poétiques. Ainsi dans « Marie », une cinquantenaire sur le point de trouver un nouvel amour voit « une jeune femme courir en pleurant ». « Le cœur a parfois des lamentations qui déjouent la pudeur », se dira-t-elle. Cette cinquantenaire aperçoit aussi, dans la même scène, Nathan, et Lucien…

Avec l’enfance, sur laquelle est porté un regard d’une grande acuité, et la création artistique, l’amour est d’ailleurs l’un des grands thèmes du livre, jamais traité d’une manière convenue toutefois. Amours trahies, différées, attendues, réussies sont plutôt relatées de façon souvent inattendue, une façon qui se révèle au moment des chutes, discrètement déstabilisantes.

Dans ce portrait du quartier Saint-Sauveur, on se réjouit aussi des allusions, jamais plaquées, à des événements de l’actualité autant qu’internationale, comme l’élection de Barack Obama en 2008 et l’attentat au Bataclan de Paris, en 2015, que locale, comme la fermeture du Centre Durocher, qui a été l’objet d’une lutte urbaine récente. Et c’est ainsi qu’apparaît l’humanité d’un quartier dit « populaire », et qu’un quartier populaire peut témoigner de l’humanité.

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