Contre le mur, moi non plus

Par Michaël Lachance
Publié le 25 octobre 2018
«on se shooterait à la vitamine C si cela avait été illégal.»  Transpotting, Irvine Welsh

Le Café Éluard coule au fond d’un océan de travaux, Legault domine l’Assemblée nationale et Doc en profite pour déserter la rue Couillard.

Des semaines que je n’ai pas vu le bourru. L’aumône a été déversée sur les mêmes pions pendant les élections, Dorion a été couronnée reine dans Taschereau et, moi, vraiment rien, mais j’ai encore le moral.

Tandis que je pianote cette nouvelle chronique, sans trop savoir quoi y foutre, un parfum étrange domine la place. Pas deux secondes, je devine l’odeur du pot. Je demande à Olivier au comptoir si quelqu’un fume dans le café. On peut bien rendre légal le THC, n’en demeure pas moins, son odeur exècre.

Le commis opine gauche droite, il hausse les épaules, reprend du collier en marmonnant : « Ça vient de dehors sans doute ». Voilà, mon pif est celui d’un héroïnomane anglais qui aurait poussé la muse dans des enquêtes affriolantes et bourgeoises. On ne me trompe pas — sinon, oui, une fille, dans les années 1990, mais, ici, rien à voir —, ça vient de l’intérieur. Je hume autour de moi, je devine la direction du haut, je monte à l’étage : bang !

Doc a tablé avec deux personnes, visiblement des hommes, du moins, il me semble. Je toise le radié sévère, il sourit comme un con, or je ne suspecte aucun joint dans la pièce. L’odeur est subtile, un vêtement enfumé ? Impossible, sur la table voisine, j’aperçois un encensoir, un bâton suspendu au sommet et une fumée dense, un vert solidaire qui tire sur le jaune.

Lorsque Doc termine avec ses invités plutôt masculins — je les sens quitter l’endroit —, il me rejoint à table, prenant soin de commander deux Crown Royal sans glace dans des verres old-fashioned à la santé de Catherine Dorion de Taschereau :

— Stu fais Doc ?
— Ça va bien, merci.
— Quoi de…
— J’ai eu une idée de génie l’ami !
— Permets-moi d’avoir des réserves.
— De l’encens à l’odeur du pot !
— …
— …

Après un silence inquisitoire, Olivier dépose les deux rhums, on trinque, je toise toujours Doc, sceptique, il tartine :

— Y a trois semaines, le Collège des médecins m’a ordonné de reprendre des cours à l’Université Laval, une mise à niveau, pour rafraichir ma mémoire, actualiser mes connaissances, la galère. Je dois me fendre quatre cours.

— Mais encore ?

— Voilà, la prof qui donne le cours de chirurgie cervico-faciale m’a proposé de l’aide pour apprendre à maitriser un nouvel objet électronique dont je ne saisis rien.

— Attends, je devine.

— Oui, dans son bureau, à la bibliothèque, chez elle, dans une toilette du Musée, bref, on a vécu une idylle impromptue et nécessaire.

— Eh ben, plus ça change…

— Mais là n’est pas le sujet, je l’ai quittée pour me concentrer sur mes études et mon invention. Dans tous les cas, elle est mariée, je ne veux pas me mêler de son mariage. On verra dans le futur, je garde la porte ouverte, en bon sapiophile, elle saura me distraire, et que sais-je, elle a des amies ?

— Et le lien avec ton invention ?
— J’y arrive.
— …

Doc sourit comme un enfant, il recommande un service de rhum, il débine des blagues et reprend le point sur sa nouvelle velléité :

— Un soir, j’t’ais chez elle, on buvait un vin rosé de dépanneur, question de se réchauffer. On déconnait et, après l’avoir plaquée contre le mur, j’ai accroché la bouteille de vin sur le tapis. On s’est rhabillés en vitesse, car l’odeur envahissait la pièce, son mari devait rentrer dans la soirée, il ne devait pas deviner cette odeur. Elle a proposé un joint pour parfumer tout ce bazar, l’idée était bonne, bien que je ne sois pas très porté sur la chose. Comme elle fume régulièrement du pot, l’odeur ne titillerait pas les narines garnies de son mari.

— Je devine la suite.

— L’encens à la marijuana, que j’ai nommé Bain Mari, est la fuite idéale pour masquer bien des odeurs désagréables l’ami !

— Euh, je ne sais pas trop Doc, tu crois qu’on fera fumer ça dans les maisons, les commerces, etc. ?

Of course ! Les deux clients que tu viens de voir partir bossent pour le diocèse de Québec, les aumôniers espèrent utiliser cet encens dans toutes les églises encore existantes de la région.

***

Il s’agit du 2018e automne depuis la mort du Christ, le monde se porte toujours plus mal, la planète a toujours soif et des morning man illettrés de Québec gagnent toujours quelques centaines de milliers par année pour on ne sait trop quoi. Doc, lui déborde d’imagination, comme toujours. Son commerce est à suivre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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