Heureux comme Doc avec des frites au vinaigre et du pudding chômeur à l’érable

Par Michaël Lachance
Publié le 14 septembre 2017
Nature morte à la ligne jaune, Patricia Bufe

Doc s’est mis à boire en décembre 1988. Un soir de pleine lune, il neigeait encore à cette époque. Il a décidé d’en finir avec le sérieux, comme ça, du jour au lendemain, 26 onces de Whisky malté en main. Il pieutait chez Ostende, sa grand-mère paternelle. Sa profession de chirurgien ne le passionnait plus. La musique trop belle non plus. D’autant qu’il a en aversion les conventions.

Cela explique peut-être le nombre de ses séjours en prison et mille autres internements pour goûter les plaisirs et la chaleur du personnel soignant. Il ne feignait jamais longtemps la folie, son subterfuge ne déjouant pas même le proposé au stationnement des hôpitaux psychiatriques.

Je relate certaines anecdotes d’après des témoignages insatisfaisants. Il faut savoir que je n’avais pas encore passé le cap des dix ans lorsqu’on fit grand cas chez nous de Doc. Il incarnait à cheval une sorte d’idéal prosaïque et de dédain bourgeois.

On le dépeignait avec plaisir dans les soirées de cuisine comme un gros bourru sentimental avec le génie d’un Paolo Noël ou d’un Donald Lautrec. Geignard et acariâtre, on disait de sa personnalité qu’elle portait l’aura de La Corriveau et l’aigreur de René Simard. Sale type pour certains, on l’invitait dans les meilleures cuisines de la province.

J’ai souvenir d’une rencontre en 1997 à Expo Québec. Il m’a peint une soirée chez Jeanne Benoît à écouter René Lecavalier à la radio. Par un samedi soir monotone de février, il me racontait sa savoureuse soirée à raisonner avec la cheffe sur la vie en région tout en pourléchant ses babines de morceaux fournis d’écureuils frits à l’ancienne. J’ai ri. Les témoignages concernant Doc feraient les annales d’une patrie entière. Je vous l’écris.

N’en demeure pas moins qu’il savait amuser la galerie par sa déprime contagieuse. Lorsque je le vis pour une première fois, on m’avait si souvent conté ses exploits que je ne savais pas me contenir d’excitation. Il est entré en passant carrément au travers de la moustiquaire de la cuisine d’été, étant sans doute trop encombré par les gars du voisinage qui tenaient à lui soutirer une histoire ou quelques bières, va savoir.

Il a pénétré chez nous comme un marin confondant la Côte Est du Gibraltar avec une Côte de bœuf sud-ouest de chez Girard. On aimait le voir plaisanter sur l’anatomie humaine comme sur ses travers de justice. Je ne sais plus à combien s’élevaient ses dettes, mais il aurait pu devenir un président américain ou un magnat des médias tellement il y avait des zéros sur son compte.

Je raconte ma passion pour Doc car, la semaine dernière, enjambant des travaux de réfections sur la rue Couillard, il tomba raide au fond d’un trou d’homme. On mit près de deux jours à l’en sortir, il piaulait comme un mineur chilien au fond d’une mine avec un cellulaire sans réseau. Il s’est malheureusement brisé deux vertèbres et la jambe droite en tombant. Ajoutez que ces deux jours de sobriété forcée ont transformé notre personnage ubuesque. Depuis une semaine qu’il est sobre. Il a repris du collier, auscultant le repas des infortunés en CHSLDCIUSSCHUCHULPENSIONSENATORIUM du Québec. Il compte chaque calorie dans les repas avec une furieuse manie qui a fait naître l’Association pour la dignité des repas. J’ai même lu dernièrement dans un commentaire Facebook qu’il suggérait dans une pension un régime à base de castors de Portneuf au four et de la fricassée d’écureuils séchés sur des cordes à linge de Michel Tremblay. Quel personnage ! Pis encore !

Avec plus de détails mythologiques, je vous fendrai des nouvelles de Doc dans les mois à venir. D’ici là, les dons pour l’Association pour la dignité des repas sont recueillis au CHSLD des Cerfs flottants, 1010 avenue du Colisée. Faire les chèques au nom de Doc ou laisser l’argent — de préférence — dans une boîte mise à cette disposition dans l’entrée de la porte arrière. Il faut sonner et glisser l’enveloppe.

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