Renauderie: la fenêtre

Publié le 10 mars 2016
Illustration: Marc Boutin
Illustration: Marc Boutin

Par Renaud Pilote

De mon point de vue, l’arrivée du printemps survenait au moment où, quelque part vers la mi-avril, on se disait : « on enlève-tu le double châssis ? » Nous avions trois grandes fenêtres à carreaux, mais on n’en ouvrait qu’une, toujours la même. La bonne bouffée d’air ! Le logement donnait directement sur la rue et les gens qui passaient devant pouvaient rarement s’empêcher de jeter un coup d’œil à l’intérieur.

On s’en fichait bien, ça avait toujours été comme ça, et puis on avait confiance, jamais personne n’avait réellement porté atteinte à notre intimité. Pour aimer vivre au rez-de-chaussée dans St-Jean-Baptiste, il faut accepter que des curieux reluquent notre salon de temps en temps (il y a en effet des soirs où l’on oublie de fermer les rideaux). Alors, tant qu’à y être, aussi bien ouvrir grand la fenêtre !

L’été de mes 11 ans, je n’entrais et ne sortais plus que par la fenêtre. Enjamber le rebord donnait un élan à ma liberté. J’allais jouer dans la rue, face à mon mur, pas trop loin, et je plaignais les enfants des banlieues confinés à de mornes entrées de garages. Je rentrais pour souper en voyant ma mère m’appeler de la fenêtre. Les passants nous souhaitaient parfois bon appétit lorsqu’ils nous apercevaient manger. Certains s’arrêtaient parce qu’ils prenaient un moment pour flatter Henri.

Henri est un chat qui nous avait adoptés, qui s’était imposé à nous par sa gentillesse et sa gourmandise infinie. Il était arrivé par notre fenêtre, justement, humant quelque fumet ayant eu l’heur de lui plaire. Nous n’étions certainement pas les premiers à l’héberger, car il était plus connu que nous dans le quartier. Des quidams qu’on n’avait jamais vus lui envoyaient le bonjour : « Comment ça va, Henri ? » Par un drôle de hasard, c’était le nom de mon défunt grand-père (on n’aurait pas eu le mauvais goût de le nommer comme ça, sinon) et son arrivée dans notre petite famille se fît tout naturellement.

Vivant modestement, nous avons toujours pris garde de ne pas jeter l’argent par la fenêtre. Par chance, jamais elle ne s’est cassée. De vilaines bourrasques l’ont pourtant fait claquer souvent. C’est par elle que nous avions fait rentrer un vieux piano droit d’occasion, abîmant juste un peu l’encadrement. C’est par elle que la pluie s’immisçait chez nous, lors de ces averses d’été aussi soudaines que diluviennes. Par cette fenêtre, située là où St-Olivier rencontre Ste-Madeleine, j’ai pu contempler la quiétude qui, somme toute, règne dans ce faubourg abondamment fenêtré. Ses habitants n’y mettent pas de barreaux, n’y jettent pas de briques, n’y ajoutent pas de volets.

À l’ombre des grandes tours du sud, il s’avère judicieux de permettre l’entrée de chaque rayon qui parvient à les contourner. Une fenêtre est accueillante. Une fenêtre est importante et ma fenêtre m’a encouragé à m’ouvrir à ma ville, d’entrevoir autre chose que mon jardin de givre, de laisser entrer le printemps avant le temps et d’apprivoiser l’idée que je ne connaîtrai jamais mon grand-père.

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