Renauderie Le mur

Publié le 14 décembre 2015

DESSIN MARCJ’avais 11 ans et mon sport préféré était le tennis. Toujours plus ou moins à la recherche d’un mur qui allait pouvoir être de calibre ( j’étais Agassi, quand même), je me butais à la difficulté d’en trouver un plat et lisse dans Saint-Jean-Baptiste. Quand il y en avait un, c’était dans un stationnement bondé et il fallait oublier ça. Sinon, il y avait immanquablement une vitre pas trop loin du bon candidat. En attendant la découverte du mur idéal, juste à côté de chez nous, sur Sainte- Madeleine, il y avait quelque chose comme un débarcadère/entrepôt avec une façade de briques ponctuée de fenêtres grillagées. Le mur comportait plusieurs aspérités malencontreuses et l’espace pour taper la balle était exigu : je pratiquais donc timidement sur lui mon contrôle et ma précision. Mais j’étais content, j’avais mon petit bout de mur qui me renvoyait mes balles.

À 18 ans, j’étais plutôt concerné pas les murailles. Cet été-là, on s’était pris un permis et on jouait de la musique dixieland, adossés contre le mur près de la porte Saint-Jean. Je ne sais pas si celui-ci avait des oreilles, mais le mur demeurait de marbre face à notre swing endiablé ( j’étais Buddy Rich, quand même). N’empêche, tous ces gens défilaient et lui restait. C’est ce qui a de bien avec les murs, qu’ils restent. Ils ne filent pas à l’anglaise, les murs, encore moins les murailles. Jour après jour, le rempart nous rassurait avec ses pierres lisses qui nous renvoyaient nos notes de musique. Au pied de ce mur, avec les pièces qui atterrissaient dans l’étui de trompette ouvert, non, nous ne nous lamentions point : l’avenir semblait radieux pour les gratteux de guitares rêvant de percer le mur du son.

Puis vinrent l’université et les murs colorés de ses corridors souterrains. Rasant ces murales à humour douteux, je me dirigeais vers des amphithéâtres sans fenêtres où un professeur (qui, bien souvent, semblait parler à un mur) m’expliqua les tenants et aboutissants de la chute du mur de Berlin, où je m’emmurai dans le château de Kafka et où je me tapai la tête contre les murs lors d’un cours de morphologie et syntaxe. Heureusement, tous ces murs ne me firent pas plafonner et mes études s’avérèrent un succès mur à mur. Ils me promurent.

Enfin, ne sachant plus trop à quel mur me vouer, je me consacre désormais à l’étude des lémurs et des murènes, reste à l’affût des murmures qui m’entourent et découvre tranquillement les joies de l’âge mûr. Je colmate tant bien que mal les fissures de mon existence, mais constate qu’autour de nous de plus en plus les murs se dressent, que les murs Facebook nous divisent et que les sommets internationaux sur le climat risquent de frapper un mur, d’aplomb. Et je me dis qu’après mûre réflexion, les murs font plus que partie du décor de nos vies : ils nous définissent, nous caractérisent et, surtout, ils nous font voir des vertes et des pas mures.

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