Presse docile, dissidents frileux: Éloge de la promotocratie

Publié le 12 novembre 2015
Selon le chroniqueur du Soleil François Bourque, le projet de tour « aux lignes sobres » de la place Jacques-Cartier augure bien. Pourtant, le Comité des citoyens s'était opposé à une tour aussi écrasante qui laissera une place assombrie, réduite à sa portion congrue. PHOTO marc boutin
Selon le chroniqueur du Soleil François Bourque, le projet de tour « aux lignes sobres » de la place Jacques-Cartier augure bien. Pourtant, le Comité des citoyens s’était opposé à une tour aussi écrasante qui laissera une place assombrie, réduite à sa portion congrue. PHOTO Marc Boutin

Par Marc Boutin

Dans une chronique publiée le 7 novembre dernier dans le Soleil et intitulée Où sont passés les dissidents ?, François Bourque se plaint de la faiblesse de la dissidence en matière d’urbanisme à Québec. Bourque ne vise pas l’opposition au Conseil municipal mais bien l’ensemble des acteurs de la société civile qui, soit auraient peur (du maire), soit se cantonneraient autour d’enjeux qui ne lèvent pas. Le chroniqueur laisse entendre que le bon travail du maire serait peut-être à l’origine de ce désengagement généralisé. Les exemples abondent : amphithéâtre livré à temps, finances sous contrôle, sensibilité à la culture (Bourque n’habite sans doute pas le quartier Saint-Sauveur), Ville qui continue de s’embellir (où ?, quand ?, comment ?) et des PPU (programmes particuliers d’urbanisme) qui respectent — toujours selon Bourque — les meilleures pratiques urbanistiques.

Dans une autre chronique, celle du 22 octobre dernier, Bourque estime que le projet de tour « aux lignes sobres » qu’on construit place Jacques-Cartier augure bien, qu’il est trop tard dans ce projet pour corriger le tir, les plans ayant été rendus publics après que les permis aient été délivrés (faut le faire). Il poursuit : c’est le risque à prendre dans une ville où les projets sont discutés en catimini avec les promoteurs. Et dans un élan de résignation, il conclut par : « On s’en accommode ». Dans la même veine, abordant la question de la participation citoyenne en urbanisme, il ajoute : « Il serait insensé de soumettre à la consultation tous les projets en ville — inutile, lassant, paralysant. » Et vlan pour la démocratie, vive la « promotocratie » !

Baume pour Labeaume

De tels propos tenus par le critique en matière d’urbanisme du principal quotidien de Québec ont tout pour alarmer le citoyen moyen et démobiliser qui rêve de dissidence ! En revanche, quel baume pour promoteurs et labeaumistes.

Si les fonctionnaires et les élus défendaient les règlements de zonage — ils reçoivent salaire pour ce faire, ou suis-je trop naïf ? — au lieu de plier l’échine devant chaque promoteur qui se présente à l’hôtel-de-ville pour en faire sauter les limites, il ne serait pas nécessaire de soumettre à la consultation publique tous les projets en ville. Les fonctionnaires feraient leur job, les citoyens se sentiraient en sécurité.

Or depuis que l’administration Labeaume a instauré la « promotocratie » (le pouvoir aux promoteurs) à l’hôtel-de- Ville, des centaines de citoyens ne se sont pas sentis en sécurité et ont exprimé leur dissidence.

Aux consultations sur le PPU de Saint-Roch nord qui se tenaient au club Victoria, plus de 250 personnes étaient présentes. Sur ce nombre, des dissidents par douzaines. Si l’écrasante majorité avait été écoutée le soir du 27 novembre 2012, la place Jacques-Cartier serait aujourd’hui dotée d’une salle de spectacle et non écrasée par une tour à condos complètement hors norme. Quatre promoteurs (contre des centaines de citoyens) ont pris la parole ce soir-là, les quatre ont obtenu entière satisfaction alors que les citoyens perdaient leur droit au référendum.

Est-ce bien ça, respecter les meilleures pratiques urbanistiques ?

À Saint-Sauveur, deux réunions publiques où sont venues plus de 170 personnes ont vu plus de 99 % d’entre elles s’opposer à la construction d’un HLM dans le parc Durocher et à la démolition du centre Durocher. Pourtant, la conseillère de l’équipe Labeaume, madame Gilbert, persiste depuis bientôt deux ans dans sa volonté de démolir.

Au bassin Louise, c’est pour un promoteur qui veut s’accaparer le pourtour du bassin pour son projet (incluant un hôtel et une tour de 17 étages) que le maire veut déménager le marché du Vieux-Port. Les citoyens du quartier s’y opposent, les marchands du coin aussi et pourtant la Ville persiste. Je pourrais poursuivre avec les ilots Irving et Esso et le Phare de 65 étages à dix kilomètres du centre-ville. Mais pas besoin d’aller plus loin pour deviner pourquoi certains citoyens-dissidents baissent les bras et rêvent de révoltes assis dans leurs salons.

Une des raisons, c’est qu’en matière d’urbanisme, la grande presse de Québec est trop complaisante envers une « promotocratie » dont on ne peut honnêtement s’accommoder. Trop souvent, la Ville ne tient pas compte de la volonté populaire exprimée lors des consultations et des séances des Conseils de quartier, surtout lorsqu’elle entre en conflit avec la volonté des promoteurs immobiliers.

Faut-il le répéter : les fonctionnaires et les élus ne sont pas où ils sont pour prendre des décisions à notre place. Ils sont là, élus et rémunérés, pour représenter notre bon vouloir, bon vouloir qui se traduit en termes urbanistiques par des règlements de zonage. Ces règlements bien sûr peuvent à l’occasion être changés, mais jamais sans consultations préalables. Celles-ci peuvent être lassantes pour certains journalistes, paralysantes pour certains promoteurs mais jamais inutiles pour les vrais démocrates intéressés par la qualité de la vie urbaine.

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