Sur la vérité physique

Publié le 19 octobre 2015
Photo: Pierre Ouimet, montage: Hélène Beaulieu
Photo: Pierre Ouimet, montage: Hélène Beaulieu

Par Michaël Lachance

Un raz-de-marée anéantissait mon espoir d’acheter un condo dans le Vieux-Limoilou. Je me trouvais juché sur un arbre à contempler la canopée autour de moi alors que des esturgeons monstres avalaient des joueurs de pétanques. De fait, Doc venait de m’asperger d’eau le visage alors que je rêvassais couché dans une plaque bande de pissenlits, le soleil caché par ce Moby- Dick géant devant moi. On eut beau chercher tout autour de ce foutu cachalot blanc, impossible de dégoter un seul café buvable dans tout ce quartier bétonné. On leva les voiles en direction du Starbucks, au coin de la 18e rue et de la 1ère avenue.

Buvotant mon café lavasse sans crema à trois piasses, je fouillais les gros titres dans le journal de cul sur la table devant moi :

« Une vieille crisse en prison pour fraude.
Stephen Harper veut armer les députés.
La Russie sonne le signal pour une 3e guerre mondiale.
Le prix du mazout explose et met le feu à l’Arabie.
L’horloge du Jura accuse du retard. »

Lebeaume et toutes ces mouettes qui becquent les grenailles de l’actualité m’emmerdent; tout m’emmerde. Mais une nouvelle a eu l’heur de me réjouir. Je partageai illico avec doc :

« Heille, t’as vu doc, l’horloge de Milles accuse du retard ?.
– Encore ?
– Ça doit expliquer la raison pour laquelle j’ai toujours l’impression que cette ville accuse un retard mental immense !
– Allons marcher.
– Oui. Allons marcher jusqu’à cette horloge à la con. On va lui donne l’heure juste ! »

Après quelques enjambées, des bronchospasmes m’arrêtent net sur le trottoir. Je zieute, en me relevant la tête, un resto asiatique désert. Je demande à doc d’y aller et d’appeler une ambulance, je suis en choc anaphylactique. Il revient après 20 secondes. Sun Tzu ne prête pas sa ligne fixe, même en cas d’alerte nucléaire. Il voulait la guerre.

J’agrippai, haletant comme un emphysèmeux, le cellulaire d’une femme qui attendait le bus dans une cabine vitrée et je composai le 911. Voilà, c’est plutôt la police de Québec qui arriva en premier sur les lieux.

Je criai poussivement :

« Aille, c’est une ambulance que j’ai appelée !
– Pis nous cette fille que tu as agressée !
– Elle est déjà morte, on ne peut rien pour elle…
– J’respire pu, je vais crever, amenezmoi aux urgences esti de coches !
– Tu vas aller en prison, esti d’cancéreux !
– Y’a un médecin dans ta geôle de marde ?
– Non, mais ben du monde pour te soigner le cave !
– Comme pour Carlos Castagnetta ?
– Tu veux finir comme lui ? »

Après avoir dit cela, il se tourna vers son collègue tout sourire et les deux se mataient en riant, la main droite sur le pistolet taser. À la seconde, je sautai dans la Mercédès qui pieutait au rouge, doc prit le côté passager et ses pieds firent sortir le vendeur d’assurance-vie sur la voie inverse. Je pris le volant et, à toute vitesse, on prit à gauche, à gauche, à gauche, puis à droite et après dix minutes à vivre à gauche, on eut enfin rejoint l’hôtel de ville. Comme l’ATSA — Action terroriste socialement acceptable —, je décidai de participer à ces interventions in situ en foutant le feu dans la décapotable, juste au pied des marches de l’hôtel de ville.

Par suite, on se précipita rapidement vers l’horloge de Milles. Doc me tenait sur ses épaules menues, pendant le trajet, je feignais d’amuser les touristes en sifflotant « Anarchy in the U.K. », une toune des Sex Pistols dont j’ai oublié les paroles et que je susurrais surtout dans les oreilles de doc, avec ce qu’il me restait d’air dans les poumons. Devant l’horloge, nous avions 3 minutes 21 secondes pour ajuster l’heure avant qu’un flic nous écrase avec sa voiture. Une petite équipe d’horlogers sur place sembla surprise de nous voir débarquer. J’annonçais qu’une bombe avait été découverte dans l’hôtel de ville. Ils ont déguerpi en hurlant et en trébuchant sur des touristes assis. Je sortis de mes poches ce vieux papier tout décrépit que je traine toujours sur moi et je le laissai là, dans le réceptacle « Porte MalheurE ».

« Le Monde sans pareil
Ne porte qu’un Soleil,
Qu’une Mer, qu’une Terre,
Qu’une eau, qu’un Ciel ardent :
Le nombre discordant
Est cause de la guerre. »1

1- Pierre de Ronsard, Poèmes attribués. Extrait : Autre du même à la même dame.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Publicité