Vivre : Malcolm Reid et les Hay Babies

Publié le 15 mai 2015
Les Hay Babies
Les Hay Babies

LES HAY BABIES, les connaissez-vous? Les Hay Babies n’ont pas insisté sur l’origine de leur nom, il me semble. Alors, avec mon intuition, je hasarde cette explication:
En Acadie, plus qu’au Québec français, les jeunes gens vivent en contact avec le monde anglophone, bon an, mal an. Et il arrive à toute jeune Acadienne d’être abordée par des jeunes anglophones entreprenants: « Hey, baby! What are you doing tonight? »

Effronté, non?

Mais les Hay Babies sont un groupe musical de filles qui ont choisi de se montrer aussi insolentes que les gars qui les ont achalées. J’avais entendu dire qu’elles débutaient leur actuelle tournée à Québec, au bar le Cercle, dans notre nouveau « strip » de showbiz, rue Saint-Joseph. J’ai sauté sur les billets. J’ai invité ma Réjeanne, Acadienne de l’Outaouais et fière de l’être. Et j’ai invité mon ami Alain.

Alain c’est le premier ami que nous nous sommes fait en arrivant à Québec en 1969.

Un protestataire et un décrocheur de l’École secondaire Joseph-François-Perrault, Alain est devenu un érudit de la musique pop. Un bachelier, un maître, un docteur. Il n’y a pas un genre, une tendance, une esthétique, qui ne le fasse tripper. « Je serai avec vous autres, » m’a-t-il dit.
ON ENTRE AU CERCLE. Foule dans l’escalier, foule au vestiaire, foule sur le plancher. Nous nous installons au balcon, pour pouvoir nous asseoir. Au Cercle, le plancher n’a pas de chaises, on boit le spectacle debout, flânant devant la scène. Le plancher du club se remplit, se remplit, se remplit. « C’est soixante-et-quinze pourcent des femmes, je dis à Réjeanne, c’est des femmes de vingt, trente, trente-cinq ans. Presque toutes. »

Et pourquoi pas? Les Hay Babies, aussi, ont ces âges-là. Et après une première partie (un groupe anglophone qu’on a écouté, mais avec impatience), elles sont là!

Celle qui a le plus de gueule est une grande blonde, cheveux en champ de foin, en champ de « hay », les bras longs, les jambes longues, toute en longueur: Elle s’appelle Katrine Noël. « Hé, on se sauve du Nouveau-Brunswick, on cherche le printemps. Rien que des tempêtes de neige chez nous. Frettes, frettes, frettes. »
C’est elle la soliste de la première chanson, et elle a une voix belle et déclamatoire à la Lisa Leblanc, une voix qui fait que la poésie de la chanson émerge clairement de la musique. Elle s’accompagne avec une guitare électrique stridente, ensuite avec une guitare sèche, archi-sèche.

La deuxième chanson amène la Hay Baby de gauche en avant de la scène. Elle est petite, très brune dans sa coloration, habillée d’un veston, d’un T-shirt, d’un jeans. Elle s’appelle Julie Aubé. Elle évoque la vie dans son village: « On est isolé pas mal. Admettons-le. Il n’y a pas moyen d’avoir un chum, parce que ton chum va s’avérer être ton cousin. »

Neguac – and back
Ah ah!
Il y pensait danser
Avec les filles du Nord —
Qui est-ce qui va sonner
Les cloches de l’église?

La troisième chanson donne la parole à la Hay Baby de droite. Elle s’appelle Vivianne Roy. Elle est éclatamment blonde, elle est un peu plus décolletée que les autres. Sa voix est riche et sa musique, instruments autant que paroles, voyage plus dans des régions country.. « On va vous chanter nos propres chansons, les vieilles et les nouvelles, celles qu’on vient juste de composer. Mais d’abord, laisse-nous faire un cover, oké? C’est une chanson du groupe « Dix-sept-cent cinquante-cinq ». Connaissez-vous 1755? »
D’ABORD: vous reconnaissez la date? C’est la date de la déportation des Acadiens de la Baie de Fundy, vers…

Vers les Îles… vers les bois… vers la Gaspésie… vers la Louisiane. C’est la date des dates, dans l’histoire de l’Acadie. La date où la Grande-Bretagne a voulu nettoyer les Maritimes des colons français, pour les offrir à des colons anglais. Ensuite: « 1755 » est un groupe musical qui a évolué autour de 1980. C’était un des premiers groupes de l’Acadie du Nord à se laisser influencer par la musique des Cajuns des États-Unis. Ça a essaimé.

Au bout de deux heures, nous sortons dans la rue Saint-Joseph, saturés de mélodies et de récits. Et je rencontre ma nièce de vingt ans. Acadienne elle aussi, si tu veux, mais de lointaine filiation un peu, maintenant. Est-elle venue pour le show? « Non, Malcolm, je les adore, mais j’ai déjà vu les Hay Babies un couple de fois, au Bal du Lézard, à leurs débuts. » Alain nous rejoint, Réjeanne nous rejoint (elle s’était dépêchée de revenir d’un voyage à Toronto, pour ne pas rater cette soirée). Nous jasons. Nous cherchons notre feeling.

Moi je me dis ceci: L’art a besoin d’être local, l’art a besoin d’être universel. Voici un groupe de juste à côté du Québec; elles me frappent comme étant très locales, très universelles. Hay Babies. Elles nous parlent de leur Acadie et elles nous parlent de leur vie de jeunes femmes. Et leur truculence, leur insistance, leur revendication de leur place-au-soleil, attirent toutes les jeunes femmes. Attirent toutes sortes de monde, d’icitte et d’ailleurs.

 

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