Renauderie : La taverne

Publié le 14 mai 2015
Illustration:  Hélène Matte
Illustration: Hélène Matte

En ce temps glorieux de séries éliminatoires, la taverne se remplit comme les filets à l’époque de Wayne Gretzky et des gardiens à pads brunes. Le printemps sème une douce euphorie et les gens se rassemblent volontiers autour d’un écran plat pour vivre l’explosion de la lumière rouge en prolongation. Au plus fort des hostilités, la machine à popcorn ne suffit plus à la tâche, il manque cruellement de fromage salé et les verres atterrissent sur les tables encore chauds de leur séjour au lave-vaisselle, eux qui normalement sont glacés. On pardonnera à la taverne ces petits accrocs à la routine, car tout le monde est content d’être là en dépit du fait que le Canadien se fasse déculotter.

Avec ce plancher dur, ces chaises raides, ces tables chambranlantes et cette luminosité déficiente, l’obtention du plaisir dans la taverne passe principalement par la bière, quoiqu’elle soit de douteuse qualité. Excepté cette poignée d’habitués qui y sont chaque jour depuis la série du siècle, on s’entendra qu’on ne s’y rend pas pour les beaux yeux du quinquagénaire s’adonnant à être serveur et répondant au nom de Réjean. D’autant plus qu’il semble réticent à nous en couler une, car à trente ans on a selon lui toujours la couche aux fesses. Malheureusement, les jeunes donnent un bon pourboire et la bière ne passe pas de mode. De plus, il adulait Guy Lafleur et nous, Saku Koivu : voilà pourquoi il finit par nous prendre en pitié et nous laisse mettre du Radiohead dans le jukebox après la partie. Verdict : 6-2 Tampa Bay. La coupe attendra encore un an. Ceux qui sont nés en 1993 ont aujourd’hui vingt-deux printemps et quelques-uns d’entre eux sont assis à la table à côté de nous. Veut, veut pas, ils sont de plus en plus nombreux chaque année.

Le dicton veut que ce soit les meilleurs qui partent en premier. On ne doit pas être très bons puisque lorsque le match disputé à Anaheim se termine, on est encore là. L’horloge du chevalier O’Keefe indique 1 h 15 et c’est à mon tour de payer le pichet pour la tablée. Je me borne à croire que la décision de choisir entre la Alexander Keith et la Sleeman Honey Brown est de lourde importance. Je finis par revenir avec une dizaine de shooters de Jägermeister, question d’oublier que maître Jagr a préféré les panthères plutôt que la sainte flanelle avant la date limite des transactions. J’aurais bien pris un petit verre de punch à l’attaque avec ça, mais ça se boit seulement dans le sud des États-Unis, apparemment. On apprécierait être en mesure de s’entretenir de l’aide humanitaire au Népal, de la victoire du NPD en Alberta, ou de la collecte des ordures à Québec, mais ce serait mal connaître la taverne que de prétendre pouvoir y penser à autre chose qu’au hockey. Les huit télévisions nous montrant en boucle la grosse face dépitée de Michel Therrien sont là pour nous le rappeler.

Lorsque je termine ma dernière gorgée après être revenu de pisser, les autres m’attendent dehors et je suis seul dans la place (avec Réjean, évidemment). L’autre dicton veut que ce soit les bons gars qui finissent en dernier. Je dois quand même avoir certaines qualités.

 

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