L’AgitéE nous quitte-t-il pour mieux renaître ?

Publié le 17 avril 2015

AGITEEpar Pierre Mouterde

 

La nouvelle n’aura pas passé inaperçue dans les cercles de gauche et le milieu communautaire et populaire de la ville de Québec. Alors que depuis 6 mois des démarches avaient été entreprises pour la relance du projet, l’assemblée générale de la coopérative de l’AgitéE a définitivement tranché le 15 mars dernier la question : elle a décidé de «fermer les portes de l’AgitéE» et «à contre-coeur de clore l’aventure le 30 juin prochain».

Cependant, selon les termes mêmes du communiqué officiel, cette fermeture se fera, «la tête haute». Et de la même manière qu’on tiendra toutes les activités annoncées jusqu’à l’été, le CA s’assurera d’honorer ses ententes avec ses différents fournisseurs et bailleurs de fond.

Peut-on dire pour autant que tout est bien qui finit bien ? Pas si sûr !

Un projet fantastique

Lorsqu’on s’enquiert auprès de quelques-uns des acteurs le plus impliqués, des tenants et aboutissants de cette affaire, on réalise vite comment la décision a été dure à prendre et comment elle représente tout à la fois, pour reprendre une expression d’un des membres du CA , Fred Rousseau «une bonne et une mauvaise chose». Bonne : parce qu’elle évite que le «syndic débarque et nous mette en faillite»; ça nous permet ainsi de finir «la tête haute». Mauvaise : parce qu’elle met fin à une entreprise unique en son genre, à «un projet fantastique», pour reprendre les mots de Stéphane Robitaille.

Et ce n’est pas se payer de mots que de le mettre en lumière, car l’AgitéE a été le fait d’un petit groupe de militants anarchistes ou proches de la mouvance libertaire qui ont décidé en 2006 de donner vie à un bar spectacle au cœur du quartier Saint Roch, dans le but d’en faire un lieu militant autogéré et un espace de résistance alternatif.

Et l’on peut dire que pendant 9 ans, quels que soient ses hauts et de ses bas, l’AgitéE a réussi à tenir son pari.

Ce n’est pas rien en effet, quand on est de gauche et qu’on aspire à un autre monde possible, que d’avoir pu faire vivre, au jour le jour et pendant 9 ans, une entreprise où il n’y avait pas de patrons et où entre travailleurEs (serveur/ses, employéEs de ménage, administrateurEs, etc.) n’existait aucune hiérarchie, ni droit d’ancienneté, ni différences de salaire.

Ce n’est pas rien non plus que d’avoir pu faire vivre, en plein cœur d’un quartier en voie de gentrification accélérée, un espace culturel alternatif et engagé; un espace où l’on pouvait retrouver sur le mode de la diversité et dans un esprit de grande ouverture, œuvres de théâtre, récitals de poésie, conférences, formations de jazz expérimental et bien sûr groupes de heavy metal.

Ce n’est pas rien enfin d’avoir pu faire vivre, en pleine ère néolibérale, un lieu de rencontre où il était possible par exemple de dénoncer les brutalités policières, de s’interroger de manière critique sur la prostitution, de réfléchir sans tabous aux expériences d’injections spécialisées ou encore de soutenir une initiative comme le projet Lune. En fait, c’était un lieu où l’on pouvait discuter et débattre de tout et selon tous les modes. Les féministes pouvaient y tenir des soirées non mixtes, des organisations populaires ou de gauche s’y donnaient rendez-vous pour organiser leurs activités. Je me souviens quant à moi des soirées électorales de Québec solidaire ainsi que de la venue de Daniel Bensaïd.

Des contradictions

Il est vrai qu’une telle expérience n’a pas été exempte de contradictions et qu’on n’a pas pu trouver, dans un contexte économique de plus en plus difficile (l’austérité?), une formule permettant de combiner rentabilité financière et projet socio-culturel alternatif. À ce propos les questions sont sans nombre. Par exemple n’y a-t-il pas eu un conflit entre les différentes fonctions de l’Agitée qui n’a pas pu être bien géré : conflit entre d’une part sa fonction de bar de quartier et d’autre part celle de salle de spectacles? Stéphane Robitaille rappelle à ce propos qu’il y avait un projet de restaurant au deuxième étage qui aurait pu aider à la rentabilité et qui n’a pas pu voir le jour. Mais il revient aussi sur le contexte socio-économique difficile actuel qui fait que toutes les petites salles de spectacles de la ville de Québec en arrachent : le p’tit Champlain, le Cercle, le café Babylone, etc….

Il reste qu’en terminant cet article, on ne peut qu’en avoir gros sur le coeur. Comme si la gauche – toutes tendances confondues — n’arrivait pas à s’enraciner, à construire sur le long terme de véritables contre-pouvoirs (économiques, sociaux, politiques) ayant la capacité de durer face au pouvoir néolibéral si hégémonique d’aujourd’hui; en somme, comme si la gauche ne parvenait pas à occuper solidement du terrain sur le long terme, lui permettant de se faire entendre avec chaque fois un peu plus de force et de puissance.

Souhaitons simplement, comme l’évoquait Fred Rousseau, que de cette fermeture puissent « ressurgir d’autres initiatives semblables »; initiatives qui sauront s’inspirer de cette si riche expérience de l’AgitéE!

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