Personnages en quête d'existence

Publié le 16 mars 2015
Émond, Dany Le repaire des solitudes Les Éditions du Boréal 2015
Émond, Dany
Le repaire des solitudes
Les Éditions du Boréal
2015

Par Aurélie Plaisance

Le repaire des solitudes est un recueil de nouvelles brèves et contemporaines, publié par Danny Émond, un jeune auteur de Québec. Dans une langue simple mais enjolivée d’images saisissantes, l’auteur se prête à une pratique douloureuse de « l’autofriction », comme il définit luimême son registre d’élection. Pourtant, ce qu’il nous reste de cette lecture n’est pas le «grattage de cicatrices» de l’auteur, mais bien plutôt, un beau sentiment de compassion à l’égard des âmes esseulées qui peuplent le recueil.

En effet, les personnages décrits par Danny Émond errent dans la vie à la recherche d’un sens à donner à leur existence. Ne reconnaissant pas le monde comme étant tout à fait le leur, ils vivent un peu dans une «dimension parallèle». D’ailleurs, ils sont aussi souvent étrangers à eux-mêmes et à leur propre corps, ce qui leur confère une sorte d’aliénation. Finalement, qu’ils soient vieux et répugnants ou jeunes et beaux, ils souffrent d’un sentiment de solitude cosmique dû à leur vie minuscule. Dans cet ordre d’idées, ils sont rarement «quelqu’un d’important», mais plutôt des étudiants, des serveuses, des écorchés de la vie, des fous; ils ne passeront pas à Tout le monde en parle, comme l’un d’entre eux se plaît à imaginer y voir sa mère.

Leur solitude est métaphorisée par l’image de l’emmurement. Les personnages habitent des demi-sous-sols, des petits appartements mal éclairés, souvent sans fenêtre, lieux étouffants et malodorants, quand ce n’est pas l’asile. D’autres fois, ils se sentent pris dans un mur, comme dans The Wall de Roger Waters, dont la référence revient à quelques reprises dans le recueil. C’est le cas dans «Bourrasque» où, dans un excès de rage, une jeune femme se met à «flanquer des coups de pied sur un bloc de béton». La solitude est également vécue tel un mal physique. Elle est métaphorisée par des douleurs abdominales, par des vomissements. Le ventre est le siège de la solitude; pensons à «La fille qui mangeait des cailloux» : «Elle le sent, son ventre, comme un aquarium sur le point de déborder, un bocal plein d’eau sale, d’algues et de gravier, avec des poissons morts qui flottent à la surface». Pensons aussi à cette autre jeune fille qui a «le ventre plein de papillons morts». Finalement, la solitude est bel et bien un mal physique qui ronge l’intérieur comme un cancer : «elle grossit dans [le] ventre comme une tumeur».

Dans ce contexte d’enfermement et de solitude, il devient essentiel de se dérober devant l’angoisse du vide. Pour ce faire, les personnages plongent tantôt dans la drogue ou le sexe, comme l’adolescente de «Lit simple, encore», qui «pour ne pas succomber au néant, [ouvrira] grand [les jambes]». Tantôt, ils s’accrochent à la religion, comme Maurice qui se fait tatouer la Sainte Vierge sur le bras. En fait, ils s’accrochent à ce qu’ils peuvent, même si c’est insignifiant comme collectionner les sous-verres ou les sous noirs. Cependant, certains personnages préfèreraient voler une voiture plutôt que de s’accrocher à quoi que ce soit et «dépasser les limites de vitesse […] pour fuir cette ville, cette vie, ce vide». Mais en définitive, il arrive que tous ces moyens de s’accrocher à sa réalité ou de la fuir ne soient pas suffisants, que le mal soit trop grand et qu’il ait besoin de s’extérioriser dans une crise de folie : «Moi, j’ai envie de me lever et de hurler, de sortir avec des ciseaux et de crever les yeux des passants dans la rue jusqu’à ce qu’on m’attrape et m’enferme».

Finalement, le recueil de Danny Émond constitue bien, comme son titre l’indique, une sorte de «repaire» pour toutes les âmes solitaires regroupées sous la couverture du livre. Ceux-ci, qui ont tant de mal à être ensemble, à échanger autre chose que des paroles creuses, à briser le silence et à assumer leur réalité, peuvent enfin, grâce au recueil, exister, c’est tout.

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