L’itinérance au féminin: Entrevue avec Jimena Michea du RAIIQ

Publié le 3 février 2015
Jimena Michea, coordonnatrice du RAIIQ. Photo: Gilles Simard
Jimena Michea, coordonnatrice du RAIIQ.
Photo: Gilles Simard

Par Gilles Simard

« À Québec, déclare Jimena Michea, ce n’est pas tant le nombre de ressources qui fait défaut, comme le fait qu’elles sont souvent peu adaptées à la complexité de l’itinérance au féminin, une problématique qui comporte une bonne part d’invisibilité1. En plus du manque de profondeur dans certains services, le travail des organismes se fait encore trop en silo. Il faut qu’on apprenne à mieux s’arrimer, à mieux coordonner nos efforts. Voilà notre défi, » rajoute celle qui est coordonnatrice au RAIIQ2 depuis environ deux ans.

Québec et Montréal, deux réalités différentes

Pour mémoire, rappelons qu’à Montréal, il y a peu, à cause notamment des températures extrêmes, on faisait état d’une situation très alarmante pour des milliers de femmes qui battent le pavé. « Rien de tout cela à Québec, assure madame Michea. Bien sûr, il y a une bonne demande, mais les ressources d’urgence sont suffisantes et personne ne va coucher dehors. Non, reprendelle, malgré une offre de services intéressante, notre problème c’est plutôt le peu de continuum dans ces mêmes services et le manque de coordination entre nous. »

Et la coordonnatrice de citer la grande Marelle du YWCA de Québec et le dropin du projet LUNES, comme exemples de services bien adaptés aux besoins d’une clientèle spécifique et multiproblématique : « Voilà des structures qui permettent à des femmes de vivre une expérience d’hébergement transitoire qu’elles n’auraient jamais pu connaître avant, dans les refuges traditionnels pour femmes. »

Un plan d’action sans moyens adéquats

Quant à la nouvelle Politique en matière d’itinérance dont s’est doté, il y a peu, le gouvernement du Québec, Jimena Michea rejoint là-dessus les positions et les critiques des principaux groupes oeuvrant dans ce domaine (RAPSIM, FRAPRU, etc.) : « C’est un bon pas, soutient-elle, on sent une volonté politique des élu-es. Malheureusement, il y a un manque de vision globale. Certes, la nouvelle politique est bonne, mais son plan d’action ne comprend pas les moyens nécessaires pour bien travailler en amont. Ainsi, il y a dans ce plan un trou de services au niveau jeunesse et un gros manque de vision sur les besoins de la région et aussi en matière de prévention ».

« Qui plus est, déplore la jeune femme, il n’y a rien de précis sur la question du « revenu » des gens ». À cet effet d’ailleurs, François Saillant du FRAPRU rappelle « qu’on peut se targuer d’avoir un beau plan, mais ça ne changera pas grand-chose si le revenu de base d’une personne assistée sociale demeure à 620 $ par mois ».

Le revirement du fédéral

Enfin, tout en rappelant que la situation des femmes itinérantes n’est pas juste quantifiable en statistiques, Jimena Michea déplore vivement le fait qu’au fédéral on ait inversé les priorités quant au programme de subventions qui a cours depuis plus de douze ans (120 M$ par année). Ainsi, alors qu’avant on mettait financièrement la priorité sur la Stratégie des partenariats de luttes à la prévention de l’itinérance (SPLI), maintenant on privilégie le modèle Logement d’abord (Housing first), ce qui a pour effet d’amenuiser considérablement l’offre de services des groupes au niveau de la prévention en région, des jeunes et de l’itinérance invisible (femmes)3.

«D’où l’importance, selon Jimena, de travailler très fort à la consolidation du réseau communautaire existant ! »

1– Itinérance invisible : plutôt que d’aller à la rue, des femmes vont chez des membres de leur famille, chez des amis ou chez des hommes en échange de faveurs sexuelles. De plus, bon nombre d’entre elles vont s’obliger à demeurer dans des habitations qui ne répondent pas aux normes…

2- RAIIQ : Regroupement d’aide aux itinérantes et itinérants de Québec

3- Dans une enquête menée récemment par le Réseau Solidarité Itinérance du Québec (RSIQ), 117 organismes issus de 15 régions différentes du Québec développent des projets venant en aide à plus de 50 000 personnes en situation d’itinérance ou à risque de l’être. On dénombre également 300 postes d’intervenant-es financés par la SPLI, dont une grande partie sont aujourd’hui potentiellement menacés car n’entrant pas dans des projets de « Logement d’abord ».

 

Quelques données sur l’itinérance

– En 1998, 3 550 personnes étaient sans domicile fixe à Québec.

– On parle de 22 % à 40 % de la population itinérante, selon les régions, qui serait constituée de femmes. – De 70 % à 85 % des femmes itinérantes auraient vécu des problèmes de violence.

– Quelque 30 % des femmes vivant de l’itinérance sont des immigrantes.

– À Montréal, il y aurait quelque 6 000 femmes sur une population itinérante de 30 000 personnes.

– Environ un tiers des personnes itinérantes auraient des problèmes de santé mentale.

Sources : Sites du RAIIQ, du RAPSIM et La rue des femmes

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