Naomi la non-découragée

Publié le 16 octobre 2014
Illustration Malcolm Reid
Illustration Malcolm Reid

Par Malcolm Reid

Naomi Klein vient de publier un nouveau livre. Une troisième grande enquête sur le monde, ses peuples, leur survie. Cette fois, son sujet c’est le climat de notre planète. This Changes Everything – dans le sens de : Le climat change? Alors tout change.

Et quand Naomi Klein écrit, le mouvement altermondialiste écoute. La tradition c’est que les Canadiens et les Québécois écoutent les penseurs de l’Europe, et essayent d’adapter leur pensée à nos problèmes. Mais le monde change. Il se décentralise. Canadiens-anglais et Québécois sont maintenant dans le débat. David Suzuki et Naomi Klein seraient des exemples.

Devant le monde, le Canada apparaît souvent comme un pays de droite, anti-écologique. Mais nous avons une autre face, une face très écologiste. Stephen Harper, fin stratège, règne, mais il règne sans avoir la majorité des électeurs derrière lui.

Klein écrit pour un public international, et ne souligne pas toujours sa Canadianité. Sur place, nous avons le problème de ce gouvernement pro-pétrole. Comment le défaire ? Les forces conservatrices sont unies, les forces de l’opposition sont divisées. On peut chercher des idées d’entente électorale ou de coalition. Néo-démocrates, libéraux, verts, Bloc Québécois : tous ces partis tiennent à continuer leur existence. Mais les citoyens pourraient-ils faire pression pour qu’ils fassent front commun sur un minimum de mesures sociales et environnementales ? Sans ça, les conservateurs risquent d’être réélus.

Naomi Klein, elle, ne met pas l’accent sur les stratégies électorales. « Mon espoir est avec les peuples, a-t-elle dit à CBC récemment. Le capitalisme abîme progressivement la planète, spécialement les gouvernements néo-libéraux comme Harper au Canada. Mais moi, mon espoir est dans les mouvements de gens ordinaires, partout au monde. Des gens de diverses cultures qui s’éveillent à la destruction. Et qui résistent. » Le capitalisme est ciblé crûment dans ce livre, un peu plus que dans No Logo et La Stratégie du choc. Son sous-titre est : Capitalism vs. The Climate. Les précédents traitaient surtout des conditionnements subis par les humain… ici, c’est la planète elle-même, la biosphère, qui est la grande victime. L’écologiste en Klein prend le dessus. Elle nomme le capitalisme comme son ennemi, et je dirais qu’elle essaie de structurer un éco-socialisme.

Car son background est intéressant, il nous en dit pas mal sur elle. De Naomi Klein, je pense qu’on pourrait dire : She’s socialism’s daughter.Klein est née à Montréal à l’époque de la Crise d’octobre, en 1970. Tout autour, le Québec créait son grand mouvement indépendantiste, socialiste, féministe. Sa mère, Bonnie Sherr Klein, à l’ONF, faisait son film sur l’industrie du sexe, Not a Love Story. Son père était médecin. Les parents avaient fui les États-Unis avant la naissance de Naomi; raison, le Vietnam. Autour de l’adolescente tournait : Girls just Want to have Fun. Tournait : Talkin’ about a Revolution (sounds like a whisper). Tournait : Une sorcière comme les autres. De fortes influences, ça.

Une étape cruciale pour Klein, c’est son départ pour l’Université de Toronto. Elle dirige The Varsity. Sous son égide, le journal étudiant est un journal de combat. Elle épouse Avi Lewis, qui est le petit-fils de David Lewis, grande figure néo-démocrate des années 1930-1970. Le couple collabore sur un documentaire, The Take. La « prise » en question, la toma, c’est l’occupation des usines en Argentine par leurs ouvriers, quand les capitalistes les ont abandonnées lors de la crise financière. Dans The Take, nous voyons la journaliste Klein en fine renarde, abordant les patrons avec « grand respect » pour les faire parler. Comme d’autres militants-nés, militants- exténués, les Klein-Lewis ont attendu avant de faire des enfants. Mais il y a trois ans est né un petit gars appelé « Toma ».

Ce nouveau livre de Naomi lui est dédié. « C’est vrai, dit Klein, quand je suis devenue une maman, toute cette question de l’avenir climatique de la terre est devenue plus réelle pour moi. » Elle écrit : « J’ai moi-même été dans le déni concernant le réchauffement du climat, trop longtemps (…) Et puis à Genève en avril 2009, j’ai rencontré l’ambassadrice de la Bolivie à l’Organisation mondiale du commerce, une femme surprenamment jeune, Angélica Navarro Llanos (…) La Bolivie dépend des glaciers pour son eau, m’a-t-elle expliqué, et ses montagnes blanches devenaient de plus en plus grises et brunes, même si la Bolivie n’a presque rien fait pour contribuer au réchauffement (…) Elle pouvait réclamer des dédommagements pour ce qu’elle perdait… Après cette conversation je ne craignais plus de lire les rapports scientifiques sur la menace à notre climat. »

Dans This Changes Everything, la lutte contre les carburants fossiles – charbon, pétrole, gaz – est le constant leitmotiv. Ce sont ces trois énergies qui sont les accusées, dans le réchauffement de la planète. Ce sont elles qui vont inonder des pays et polluer la réserve mondiale d’eau. En Canadienne, Klein a spécialement un oeil sur l’immense effort de l’industrie pour mettre en valeur les sables bitumineux autour de Fort McMurray, en Alberta. Mais son oeil est partout. Et les héros et héroïnes sont toujours les communautés qui disent non. L’auteure a le don de l’anecdote qui parle. À la page 347, elle nous emmène en Roumanie (avec l’aide de la journaliste Luiza Ilie), où des cultivateurs manifestent contre la fracturation que fait la pétrolière Chevron, pour le gaz de schiste. « Pouvons-nous vivre sans eau ? », scandent les paysans anti-fracking dans la ville de Pungesti. « Non ! » « Pouvons-nous vivre sans Chevron ? » « Oui ! »

Dans la Bible, Naomi est une mère. Elle et sa belle-fille Ruth ont perdu leurs hommes. Elles retournent chez elles, découragées. En hébreu, naomi veut dire plaisante, mara veut dire amère. « Je n’ai plus ma joie, dit la Naomi de la Bible, je m’appelle désormais Mara. » La Naomi d’aujourd’hui est différente. Elle est une non-découragée. Elle n’est pas à veille de changer son nom pour Mara.

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