Renauderie: le restaurant du Sud-Est asiatique

Publié le 10 mai 2014
Un restaurant Sud-Est asiatique. Illustration: Marc Boutin
Un restaurant du Sud-Est asiatique. Illustration – Marc Boutin

Par Renaud Pilote

Ce qui est étonnant dans ce monde où des banques font parfois faillite et où des chaînes de fastfood sont contraintes de faire trancher leurs tomates outremer par souci économique, ce sont de voir tous ces restaurants du Sud-Est asiatique perdurer, que dis-je, prospérer parmi nous grâce à des formules qui, selon moi, n’ont pas leurs égales. Tandis que je me promène, par un beau mardi soir, sur cette artère commerciale semi-moribonde de la basse-ville, je suis ravi de constater que ces salles à manger typiques sont toujours pleines, que les éclats de rire y fusent et que les bouteilles-de-votre-vin s’y vident allègrement, le tout dans un décor pastel nous donnant l’impression de remonter paisiblement le fleuve Dollarama (parallèle au Mékong, il se jette cependant dans le golfe de Thaïlande, j’ai vérifié) par un bel après-midi pré-colonial. Cela est chaleureux comme un rouleau de printemps.

Je me dis surpris, mais je me doute bien de ce qui fait leur succès. Leur force est avant tout familiale. Des parcours de vie souvent tragiques leur ont appris l’importance d’une famille tissée serrée lorsque vient le temps de repartir à zéro. Personne ne leur a montré comment attacher leur tuque avec de la broche à leur arrivée, ils y sont parvenus seuls. Puis ils ont ouvert des restaurants, et le cari atterrit délicatement sur nos papilles ravies. On peut ainsi les voir s’affairer pendant le deuxième service du soir : le patriarche sur-veille la scène, serein, entre les cuisines et la caisse, tandis que les représentants de la deuxième génération nous accueillent et nous servent avec un français à la fois impeccable et plus québécois que celui de la Poune. La mère est probablement en haut en train de gérer la comptabilité, ou partie au supermarché pour se procurer dix kilos de tapioca et une bonne centaine de laitues Iceberg en spécial. Voilà peut-être la clé de leur bonne fortune : l’achat en gros de produits en spécial, jumelé à un menu pratiquement immuable composé d’une myriade de plats entre 13.95 $ et 18.95 $ incluant Won-Ton et paparmannes à volonté, le tout enrobé d’un fade fi-let de musique pop en provenance du pays d’origine, question de chasser le naturel afin que les clients reviennent au galop. On voit ici que ce n’est pas juste les Américains qui l’ont, l’affaire.

Une part de mystère plane néanmoins sur cet archipel de restaurants. La bonne humeur du personnel semble en effet inaltérable et leur politesse exemplaire mélange respect, réserve et discrétion. Quel est donc le secret d’une telle aisance de caractère ? Est-ce la joie d’avoir à célébrer des anniversaires chaque soir que le Bon Dieu amène ? Est-ce la plénitude intérieure que procure le clapotis perpétuel de la chute d’eau installée près du comptoir-caisse ? Nul ne le sait vraiment, le Général Tao l’ayant vraisemblablement emporté avec lui dans sa tombe. Chose certaine, on tient aujourd’hui tellement pour acquise leur présence bienveillante dans notre ville qu’on oublie facilement qu’ils nous ont fait sortir de la routine pizza-poutine et que, grâce à eux, nous avons d’autres options pour les soupers aux chandelles que les pâtes italiennes servies par des serveurs blasés. Je n’ai jamais osé leur demander ce que signifiaient les noms parfois imprononçables de leurs établissements, j’aurais trop peur qu’ils veuillent dire autre chose que « Là où il fait bon vivre », « La crevette joyeuse » ou « L’aigre-douce harmonie d’un soir d’été ». Le mystère est un plat qui se mange chaud.

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